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est aussi courte que mal connue. Il alla d’abord s’établir, comme pasteur dissident, à Ware, dans le Hertfordshire, puis à Stowmarket. Ce fut là qu’il perdit la foi. Il a lui-même noté avec une exactitude minutieuse les différentes phases qu’il traversa avant d’arriver à l’incrédulité complète. Il rencontre d’abord un jeune homme de son âge, Joseph Fawcet, qui avait l’habitude de déclamer contre les affections domestiques et qui n’eut sans doute pas grand’peine à le convertir. En 1782, la lecture du Système de la nature fait de lui un déiste. Au printemps de 1783, le livre de Priestley l’incline au socinianisme, et ainsi de suite. Sur quel fondement reposaient donc des croyances si faciles à ébranler?

A la suite d’une discussion qu’il eut avec ses auditeurs de Stowmarket sur une question de discipline ecclésiastique, il reprit sa liberté, et il fit bien. Entre l’hypocrisie, qui lui aurait assuré le pain quotidien, et la franchise, qui ne lui assurait que l’indépendance avec la misère en perspective, il n’hésita pas. Il ne faudrait pas cependant exagérer le mérite de ce choix. La vie littéraire le tentait : il y entra par la petite porte. Il écrivit d’abord dans des recueils oubliés aujourd’hui des articles plus oubliés encore ; il se mit à la solde du libraire Murray, composa des pamphlets pour le parti libéral, fréquenta Sheridan, et néanmoins ne voulut pas se vendre, ce qui était d’autant plus louable qu’il lui fallait quelquefois, pour dîner, mettre sa montre ou ses livres en gage. Deux fléaux, les emprunts et les dettes, ont tourmenté son existence; mais il semble très vite en avoir pris son parti. On dirait presque qu’il croyait, avec le héros favori de Rabelais, que « nature n’a créé l’homme que pour prester et emprunter, » tant était vive sa foi dans la bourse de ses amis, tant il ouvrait naïvement pour autrui la main qu’il venait de tendre pour lui-même. Au reste, en agissant de la sorte, il ne faisait que suivre la coutume et les traditions de patronage littéraire encore en honneur au XVIIIe siècle. Depuis cette époque, les gens de lettres ont pris l’habitude de compter un peu moins sur le prochain et un peu plus sur eux-mêmes, et ce sentiment de fierté bien placée nous rend plus difficile à comprendre ce qui semblait alors tout naturel.

Godwin a été en Angleterre un des derniers représentans de la littérature besoigneuse. Quant à sa générosité, elle était extrême. Au milieu de sa pauvreté, il fut toujours prêt à secourir ceux qui étaient plus pauvres que lui, et surtout les jeunes gens. C’est ainsi qu’au moment où il avait peine à se suffire à lui-même, on le voit recueillir un cousin éloigné dont il voulait faire l’éducation. Malheureusement il ne suffit pas d’aimer la jeunesse pour la bien conduire, et l’histoire des rapports de Godwin avec son élève en fournit la preuve. En la lisant, on voit paraître devant soi l’une de