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Cette fois, la crise a duré assez longtemps pour qu’on pût passer en revue tous les successeurs qu’il était possible de lui donner, tous les hommes capables de le remplacer et qui ont en eux l’étoffe d’un chancelier de l’empire. Un député du Reichstag s’est fait l’interprète de l’opinion publique quand il a dit : « Rien de plus frappant que l’accueil qu’ont trouvé partout les divers projets colportés par les journaux touchant les successeurs possibles du prince de Bismarck. Il y avait dans le nombre des dignitaires de l’empire fort considérés, des hommes éminens qui se sont distingués dans la guerre, dans la paix, dans les délibérations parlementaires, et aucun de nous, si on nous avait demandé lequel de ces hommes était de force à porter le fardeau colossal qui pèse aujourd’hui sur les épaules de M. de Bismarck, n’aurait pu réprimer un sourire. En vérité, après cet examen, tous ces hommes de mérite courent le risque de devenir des personnages presque grotesques. » On ne peut aspirer à remplacer M. de Bismarck sans se couvrir de ridicule, voilà la morale de la pièce qui vient de se jouer à Berlin.

Il ne pouvait venir à l’esprit de personne que l’empereur Guillaume acceptât la démission du chancelier. S’il devait jamais se séparer du grand ministre dont il a su deviner le génie, de ce serviteur providentiel avec qui il a couru tant de hasards et qui lui a mis sur la tête la couronne impériale, il croirait divorcer avec son passé et avec sa gloire. Les souverains de la Prusse ne considèrent que le bien de l’état ; ils contractent de bonne heure l’habitude de lui sacrifier leurs aises et leurs commodités. Sans doute l’empereur Guillaume a souffert quelquefois des échappées d’humeur et des haut-le-corps de l’impérieux chancelier, il a pu blâmer ses incartades, ses emportemens, ses rancunes implacables; mais il en a pris philosophiquement son parti et s’est contenté de dire : — « Il est ainsi fait, il faut le prendre comme il est. » — Personne à Berlin ne s’est étonné de son attitude pendant la crise ; elle a été ce qu’on attendait. On a été plus surpris de l’intervention active du prince impérial ; le zèle qu’il a déployé est pour M. de Bismarck un gage qui a son prix. On savait que depuis 1870 le prince Frédéric-Guillaume s’était rapproché de M. de Bismarck, dont il avait souvent désapprouvé la politique. Ce rapprochement était devenu plus sensible encore depuis le jour où le chancelier avait ouvert sa campagne contre l’église. L’insistance avec laquelle l’héritier du trône de Prusse et de la couronne impériale a représenté à M. de Bismarck que l’Allemagne avait besoin de lui a été fort remarquée. C’était lui dire qu’il serait l’homme du futur règne. Ce point n’est plus mis en question, et c’est peut-être un des éclaircissemens que M. de Bismarck désirait se procurer; il s’est toujours soucié de tâter le pouls à tout le monde, de faire le bilan de sa situation. Le présent lui appartient, l’avenir est à lui.

Comme le souverain, comme la dynastie, le parlement s’est empressé d’affirmer bien haut que M. de Bismarck est un homme nécessaire, et