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s’opérer la transition d’un parti et d’un ministère à l’autre. Ce qui est le plus malaisé en Espagne, c’est le passage régulier et pacifique du gouvernement de la veille à celui du lendemain : à ce point de vue, le nouveau règne ne paraît pas beaucoup en progrès sur ses devanciers. Les avenues du pouvoir sont si bien gardées, si bien occupées, qu’on ne voit guère comment on peut les forcer sans faire violence à la légalité. Pour mesurer l’étendue de cette difficulté, il faut connaître les mœurs politiques de la Péninsule, et aussi la nouvelle constitution de la monarchie espagnole.


II.

Deux reproches principaux ont été faits au gouvernement de la reine Isabelle, deux fautes connexes ont préparé sa chute en menaçant le pays de lui enlever le bénéfice de la défaite des carlistes. Les maximes constitutionnelles proclamées pendant la minorité d’Isabelle II ont été sous son long règne appliquées avec peu de sincérité; l’influence du palais a été prédominante et, par suite des penchans personnels de la souveraine, la puissance du clergé, ébranlée pendant son enfance, tendait à se raffermir au détriment de la liberté religieuse. Ce double danger est un de ceux contre lesquels il est difficile de se garder avec des mesures législatives et des précautions constitutionnelles. Pour y parer, la constitution de 1869, votée avant l’intronisation du roi Amédée, avait dépouillé l’église de tout privilège et réduit la royauté à un rôle tout passif. Une restauration ne pouvait aller aussi loin. La nouvelle constitution a rendu à la royauté tous les droits qu’elle possède dans les monarchies constitutionnelles; mais une charte a beau définir la prérogative royale, elle n’en saurait pratiquement limiter l’exercice. En pareille matière, les textes législatifs importent peu, les mœurs décident de tout; les partis qui ont le plus blâmé l’ingérence personnelle de la reine déchue sont en ce moment, comme nous le verrons, les plus enclins à vanter l’exercice de la prérogative royale et à réclamer l’intervention du jeune souverain.

Il en est autrement de la liberté religieuse; aussi est-ce une des questions qui ont été le plus débattues dans les cortès constituantes. La loi fondamentale de 1869, acceptée par le roi Amédée, avait enlevé au catholicisme romain la qualité de religion d’état : la nouvelle charte la lui a rendue. Le gouvernement de don Alphonse, obligé de donner satisfaction aux conservateurs, ne pouvait disputer à l’église un titre que lui accorde au-delà des Alpes le statut du royaume d’Italie. La grande discussion a porté sur la liberté des cultes. En Espagne, les traditions de l’inquisition ne sont pas le seul