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que la propagande religieuse serve de couverture à des intrigues politiques, ou la polémique des novateurs de pavillon à la contrebande révolutionnaire.

Le clergé catholique trouvera peut-être aussi son profit à la tolérance qu’il dispute aux dissidens. Les adversaires de la liberté sont souvent, on le sait, les plus zélés à s’en servir, et, faute de privilège, les premiers à se prévaloir du droit commun. Il y a une liberté que réclame partout l’église, celle des ordres religieux et des fondations monastiques. Les couvens, on s’en souvient, ont été fermés dans toute la Péninsule, en Espagne comme en Portugal, sous la minorité de doña Isabelle et de doña Maria. Décrétées en pleine guerre civile, la suppression des couvens et la confiscation des biens de mainmorte ont été exécutées avec plus de rigueur dans les états de sa majesté catholique que dans le nouveau royaume d’Italie. Les moines de toute robe ont été chassés des cloîtres somptueux d’où ils avaient si longtemps régné sur les Espagnes, ils ont été dépouillés de leur costume en même temps que de leurs biens. Les rares vieillards que la loi a laissés encore dans leurs anciennes maisons y vivent en simples prêtres, comme desservans de l’église, si ce n’est même en gardiens ou en portiers. Les religieuses mêmes, tolérées dans les hôpitaux, ont été longtemps sans se montrer dans les rues. A mon premier voyage en Espagne, il y a une douzaine d’années, à l’époque même où régnait sur la reine Isabelle la sœur Patrocinio, je ne rencontrai de costumes religieux qu’à Gibraltar, où l’Angleterre offrait un asile aux moines comme aux juifs.

Depuis la restauration, les moines ont commencé à reparaître. Il s’est déjà formé ostensiblement plusieurs communautés d’hommes, et l’on annonçait, il y a quelques semaines, que dans je ne sais quelle ville de province l’autorité avait laissé des capucins promener, aux yeux étonnés des Espagnols, la robe brune de saint François. Les catholiques semblent prêts à se prévaloir de la tolérance religieuse pour rouvrir des couvens et arborer de nouveau les couleurs variées de la vieille milice monacale. A demi vaincu sur le terrain de l’unité religieuse, le clergé va peut-être faire servir sa défaite à la reconstruction de l’active et nombreuse armée violemment licenciée par la révolution. À ce titre, la réapparition dans une ville de province des archaïques et pittoresques costumes du moyen âge serait plus qu’une inoffensive exhibition, ce serait une sorte de manifestation ou l’affirmation d’un droit dont au besoin l’on compte largement user. Déjà on entend parfois parler du retour des jésuites. En Espagne comme chez nous, l’ordre de saint Ignace, bien que banni légalement, a continué d’exister; mais, comme naguère en France, ses membres ne vivent plus ostensiblement