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un grand rôle et une véritable autorité, c’est de les composer de telle façon qu’elles ne demeurent jamais en désaccord avec l’opinion publique. En Espagne, l’équilibre constitutionnel et l’harmonie des deux chambres sont d’autant plus nécessaires qu’un article de la constitution les déclare toutes deux égales en droits, et stipule expressément que les lois de finances même doivent toujours être sanctionnées par le vote du sénat.

En tout autre pays, le mode de formation du nouveau sénat pourrait inspirer quelque inquiétude pour la liberté; dans la Péninsule, de telles craintes sembleraient puériles. L’on n’y a pas assez l’habitude de prendre au sérieux les stipulations constitutionnelles pour beaucoup s’effrayer du mode de composition de la haute chambre. Pour le sénat comme pour le congrès des députés, dès qu’il y a des élections, le gouvernement est assuré de triompher, et dans cette confiance, les partis ont beaucoup moins à se préoccuper des cortès que du palais, des réunions parlementaires que des intrigues de cour qui peuvent les amener au pouvoir. Les constitutionnels, que l’on regarde généralement comme les héritiers naturels du cabinet actuel, donnent déjà à entendre qu’en arrivant aux affaires ils feraient renouveler toutes les élections nationales, provinciales ou municipales faites sous le règne de leurs prédécesseurs. En cas de besoin du reste, un ministère nouveau, constitutionnel ou modéré, ne reculerait pas devant une révision de la constitution. Les Espagnols sont exempts de toute superstition, de tout fétichisme pour les fictions légales. Cette indifférence aux formes constitutionnelles, ce scepticisme politique, est une des grandes plaies de l’Espagne. Si le régime parlementaire n’y fonctionne point d’une manière normale, la faute n’en est pas à la constitution, qui en dépit de ses défauts garantit au peuple espagnol toutes les libertés essentielles, la faute en est aux mauvaises traditions, au manque de mœurs politiques, au peu de scrupule des gouvernemens et des partis.

Eq tout pays, en monarchie comme en république, la liberté politique n’a pas de meilleur rempart que le respect des institutions. En dehors de là, il n’y a pour une nation ni repos assuré ni liberté durable. Un peuple n’est vraiment sorti de l’ère des révolutions que lorsqu’il possède dans un pacte constitutionnel une sorte d’arche sainte sur laquelle les partis n’osent porter la main sans une religieuse terreur. A cet égard, un peu de superstition n’est même pas inutile. L’Espagne, non moins que la France, est malheureusement étrangère à cette sorte de culte, de religion encore vivante dans les heureuses contrées où la constitution a la force et l’autorité du préjugé : ses institutions sans cesse remaniées ne lui inspirent ni dévotion ni foi. Des deux côtés des Pyrénées, cette espèce d’incrédulité