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passé par là. N’avons-nous pas vu démanteler sous nos yeux les portes du Siro, qui donnaient à Yeddo toute sa physionomie?

Le siro est une forteresse placée au centre, ou au flanc de la ville qu’elle doit protéger, le plus souvent sur une éminence et dans le voisinage d’un cours d’eau qui alimente les douves, quelquefois tout au bord de la mer ou d’un lac, comme Takusima sur le lac Suwa, Hikoné sur le lac Biwa, et tant d’autres. Celui de Yeddo, le plus vaste après celui d’Osaka, a une enceinte continue et repliée en spirale trois fois sur elle-même. Les fossés extérieurs sont au niveau de la marée, qui s’y fait sentir, tandis que les canaux intérieurs, alimentés par des rivières et des sources, ont été creusés dans une colline d’environ 80 mètres d’altitude couronnée de remparts. Le talus interne de ces profonds ravins est recouvert d’un mur de soutènement fortement incliné en arrière, d’un profil semblable à l’éperon d’une frégate. L’appareil polygonal se compose de blocs de granit à prismes irréguliers ajustés sans le secours du ciment, et rappelle les constructions cyclopéennes que les Pélasges élevaient à Tyrinthe il y a trois mille ans. Quoique faisant usage de la pierre depuis des siècles, les Japonais n’ont fait aucun progrès dans l’emploi de cette substance, car on ne peut tenir compte de quelques arches de pont bâti à l’imitation des Hollandais à Kagosima et à Nagasaki; ils se contentent d’aplanir la face externe de chaque bloc, laissant les autres irrégulières, et remplissant les interstices intérieurs avec un blocage à sec de cailloux. L’inconvénient de ce système est qu’en cas de tremblement de terre les cailloux ainsi logés dans les intervalles agissent comme des coins qui repoussent les blocs hors du mur; on peut en effet voir en beaucoup d’endroits les pierres de ces fortifications faire saillie en corbeau sur le parement. Des arbres couronnent ces talus; des poternes fortifiées donnent accès dans l’enceinte, et des tours carrées aux toits courbes, aux murailles blanches, aux lucarnes étroites en défendent tous les angles. Rien n’est plus pittoresque que de voir, par un beau soleil d’hiver, ces étages de forteresses concentriques s’élever en pyramides, jusqu’au donjon central d’où l’on domine toute la ville et la baie de Yeddo, ou de suivre, au clair de lune, ces canaux silencieux où se reflètent les gigantesques murailles de granit. On croit remonter le cours des temps, contempler la gloire d’Assur et de Ninive, et, à défaut d’un sentiment bien défini du bœuf, ce colossal entassement de pierre a la poésie qui s’attache à toute manifestation de la puissance humaine.

On ne saurait parler de l’architecture japonaise sans ajouter quelques mots sur l’art de dessiner les jardins, qui est, ici plus que partout ailleurs, inséparable de celui de bâtir. A part les magnifiques ombrages qui entourent les temples et leur donnent souvent