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presque tous les beaux parcs, un des bords de la pièce d’eau se relève en un talus rapide, couvert, de la base au sommet, quelquefois sur une étendue de 10 ou 15 mètres, d’azaléas rouges, blancs, roux, dont les tons éblouissans finiraient par lasser l’œil des habitans si leurs corolles ne se flétrissaient en quelques semaines. Le lys, l’iris, le glaïeul, plus persistans, le chrysanthème, l’héliotrope, sont plus clair-semés.

L’artiste japonais mérite une place à l’écart du Français, qui fait de l’architecture végétale, de l’Anglais, qui reproduit purement et simplement la nature avec l’apparence de son désordre, du Chinois, qui s’efforce de la contrecarrer et de la gêner. Notre jardinier sait consulter le génie du lieu, s’associer les effets du site environnant; il ne contrarie pas la nature, mais, chose pire, il la contrefait et la travestit; ses arbres sont trop bien ébarbés pour être de vrais arbres, ses fleurs, jetées avec une si aimable négligence, ne sont pas celles que les champs produisent avec ce même désordre; il n’y a jamais eu tant de sinuosités dans une mare naturelle de 100 mètres carrés; tout cela étouffe et manque d’air et de lumière dans l’espace trop étroit où l’on a voulu entasser trop de choses; nous sommes dans une serre, au milieu des pots de fleurs : ce n’est plus un jardin, c’est un musée de verdure mal rangé. Cette diversité paraît mesquine; à force de découper, d’émietter les élémens de la décoration, on a réussi à faire de petites choses avec de beaux arbres et de grands espaces : au milieu de cette végétation gênée, dans ces sentiers où l’on ne peut aller deux de front, où l’on doit marcher à pas comptés d’une dalle sur l’autre, où l’on rencontre à tout jamais la même surprise au même détour, le même imprévu chaque jour plus prévu et plus insipide, j’étouffe comme dans un salon garni de porcelaines, où l’on n’ose faire un mouvement, et je réclame les larges horizons de la campagne, les lignes prolongées du sol, l’air libre, la tranquillité de la forêt. Mais non, l’impression me poursuit encore! La nature, elle aussi, est petite, chétive, mesquine dans sa grâce et sa gentillesse, franchissons le mot, colifichet. Faut-il s’étonner que le jardinier qui lui demande ses inspirations et la répète sur une plus petite échelle ne fasse qu’une œuvre médiocre et sans grandeur? Non! les œuvres de l’homme reflètent celles de la création qui l’entoure et donnent du même coup la mesure de son génie. C’est dans les longues et larges avenues de Versailles, de Rambouillet, de Fontainebleau, que devaient se plaire des promeneurs comme Louis XIV, Colbert, Bossuet : ce sont de vastes plaines comme celles de l’Ile-de-France qui devaient en révéler à un Lenôtre les accens majestueux; mais ces petites retraites encaissées dans les fleurs, ces éternelles petites mignardises, ces étroites clôtures aux lignes brisées, ont pu renfermer un