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que d’insignifiantes idoles. Il est d’ailleurs facile de distinguer ici un appauvrissement du sens esthétique, semblable à celui que révèle l’histoire de l’art égyptien. Entre les gigantesques effigies de Kamakura et de Kioto, qui remontent très apparemment au XIIe siècle de notre ère, et les icônes plus modernes datant des Tokungawa (XVIIe siècle), on trouve la même dégradation qu’entre le Chéphren du musée de Boulaq et telle statuette du temps des Ptolemées placée dans une salle voisine. La grande inspiration primitive s’est évanouie; il ne reste plus qu’un cadavre pétrifié; l’art, en voulant s’humaniser sans pouvoir s’arracher à la servitude des formes hiératiques, n’a réussi qu’à s’abaisser. Faute d’un idéal saisissable, il a perdu sa puissance en renonçant à ses dimensions, et cessé de rencontrer le sublime sans atteindre le beau.

Cette dépression est plus visible encore dans les statues diadumènes qui représentent le fondateur de la religion avant sa vocation religieuse, la couronne ou la tiare en tête, la main droite levée, et faisant corps avec un massif de pierre ou de bois qui forme dais au-dessus de lui. Si on les compare avec les représentations identiques, mais bien antérieures, que nous avons vues à Java dans les bas-reliefs de Borobhondhour, on trouve que la raideur et l’immobilité archaïques sont plus accentuées dans les œuvres postérieures que dans les œuvres jaillies spontanément il y a douze siècles de l’explosion religieuse du bouddhisme indien.

Ainsi, pour résumer ces aperçus, dont le lecteur voudra bien excuser le caractère nécessairement intuitif et personnel, le type du Bouddha est sublime sans être beau ; ce qu’il a de plus admirable vient d’une source hellénique ou commune avec l’hellénisme; mais transporté au Japon avec la religion indienne, il y a été constamment traité dans le style formaliste dont les Grecs surent si heureusement se dégager. L’artiste japonais n’a pas su transformer et vivifier cette donnée première, pour créer un type original qui traduisît les aspirations particulières de sa race; bien plus, quand il a voulu représenter d’autres mortels divinisés, comme le Jiso-Bosatz qu’on voit sur le champ d’exécution de Kotsu-ku-hara près de Yeddo, il est retombé malgré lui dans la répétition des traits et des attitudes consacrés par la tradition. Mais n’importe ! à défaut des accens pénétrans de la vie, ces images impassibles proclament par leur majesté sereine, la vitalité et la grandeur des dogmes philosophiques qui s’enseignèrent à leur ombre. Si elles ne sont pas les œuvres d’un peuple de grands artistes, elles sont les essais d’un peuple et d’une époque sur lesquels un grand souffle a passé. On peut s’écrier en les voyant : Mens agitat molem. Un rayon du grand foyer de l’Inde aryenne est venu s’égarer sur le monde japonais.