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A part cet exemplaire unique, la statuaire ne sort pas des petites dimensions et des petits effets. Elle nous semble être à l’art, tel que le comprend l’Europe, ce qu’est un vaudeville de Scribe à une tragédie de Corneille. Elle est de petit aloi, parce qu’elle n’a pas d’idéal et borne son effort à l’imitation. Nous ne parlerons pas des figures en bois peint ou en cire vêtues de soie et de coton qu’on montre au temple d’Asakusa. Le musée Tussaud n’a rien de plus horrible que ces spectres ricanans. Quant à la statuaire éléphantine, elle atteste, comme tout ce qui sort des mains japonaises, une habileté sans pareille, mais dans ses dimensions microscopiques elle ne peut avoir qu’un intérêt très secondaire. Il est à remarquer cependant que dans leurs netské, comme dans leurs statuettes, les Japonais, débarrassés sur ce terrain de l’asservissement religieux, ont secoué le joug chinois, et se sont fait une manière à eux, facile à distinguer de celle de leurs maîtres, moins raide, moins compassée, plus naïve et plus vraie. Leur tempérament observateur et fin a repris le dessus et dominé la tradition classique; mais leur génie n’a pas su s’élever au-dessus de la sculpture de caractère.


IV.

Tandis que la statuaire se développe chez un peuple en raison de l’importance qu’il prête à l’homme dans l’univers, et de l’admiration qu’il conçoit pour ses formes, en tant qu’image de l’harmonie et de la beauté suprêmes, la peinture peut tirer sa fécondité d’un tout autre ordre de sentimens. Une population attachée au culte des ancêtres, aux légendes du passé, aux traditions religieuses, aime à reproduire et à contempler les scènes dont on berce dès le bas âge l’imagination des hommes. Chacun éprouve un secret plaisir à rencontrer constamment sous ses regards la représentation visible des mythes, des contes de fées, des fables poétiques dont on a amusé son enfance. Qu’on se reporte à notre moyen âge, auquel il faut toujours revenir pour comprendre et expliquer le Japon, qu’on se figure la place que tenaient dans les connaissances du vulgaire l’histoire sainte, les sciences du Nouveau-Testament, les chansons de geste et l’interminable série d’anecdotes apocryphes, qui étaient venues se greffer sur une histoire déjà merveilleuse elle-même; on aura une idée des sentimens du petit peuple au Japon jusqu’à ces derniers temps. Un art qui sait à bon marché faire revivre pour les yeux toute cette légende de prédilection doit donc être naturellement très cultivé et très recherché. Aussi n’est-il pas de pauvre maison où l’on ne trouve quelqu’une de ces aquarelles, sur soie ou sur papier, qu’on appelle des kakémono, suspendue au fond de