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plus naïve que la nôtre, s’appliquer sur la réalité comme une laque d’or sur en bambou laqué. C’est précisément le charme secret du Japon qu’on s’y trouve jeté tantôt au milieu du moyen âge, tantôt au milieu de l’antiquité, et qu’on y peut ressaisir le sens de ces souvenirs classiques dont la poésie intime ne se révèle qu’à celui qui les a vécus.

Que de visites il nous faudrait faire, si nous voulions conduire nos lecteurs chez les nielleurs, les orfèvres, qui font des bijoux en argent et des ustensiles de parade en or, les armuriers qui fabriquaient jadis des lames célèbres, qu’ils se contentent aujourd’hui de monter avec des gardes neuves ou vieilles artistement travaillées ! Dans toutes ces industries, le Japonais déploie les mêmes qualités d’exactitude, de précision, les mêmes saillies d’originalité éclatant au milieu d’habitudes routinières.

On s’étonnera sans doute qu’étudiant le sentiment esthétique dans l’appareil extérieur de la vie nous n’ayons pas parlé encore du mobilier proprement dit ; mais autant vaudrait demander à un no- taire de dresser un inventaire dans une maison vide. Les meubles sont rares en effet dans un appartement japonais; on s’assoit par terre sur les tatami, nattes fines de paille de riz, qui couvrent le plancher ; on dort sur un f’ ton, mince matelas de ouate qui chaque soir est étendu et chaque matin replié dans un placard remplaçant l’armoire absente ; la tête repose sur un billot de bois garni d’une matelassure de papier. On écrit sur une petite table basse devant laquelle la personne se tient sur ses talons, l’encrier posé à terre, à côté d’elle. Les meubles ne sont ni bien nombreux, ni bien haut perchés dans cette vie à ras de terre. Le Japon est un pays pauvre, où l’on ne trouve pas cette richesse accumulée par les siècles, qui se traduit dans le luxe des ameublemens ; enfin la menace perpétuelle de l’incendie contribue encore à en arrêter l’essor. Ce n’est donc que chez les riches qu’il faut chercher quelques pièces de mobilier. Voici d’abord le todana, sorte de commode cubique où l’on serre les habits; le tantsu, petite étagère à tablettes et à tiroirs, dont l’asymétrie et la planchette supérieure relevée en corne rappellent l’architecture des temples, puis des cabinets et des coffrets de différentes dimensions et de formes rectilignes sans grande variété; enfin des supports aux lignes sobres, des boîtes à parfums, de petits nécessaires, et l’indispensable chihatchi, ce brasier à fleur de terre qui affecte mille formes diverses et répand sa chaleur sans flamme. Point de glaces, ils ne connaissent pas la verrerie. Tous ces objets sont en bois laqué de diverses manières. La laque rouge indique un meuble chinois ou directement imité du chinois. La laque d’or la plus belle et la plus chère atteint des tons