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le procès commençait. Avant l’ouverture de la séance publique, le président Pasquier réunit les pairs en conférence dans la chambre du conseil et leur fît connaître, dans une allocution brève et ferme, l’étendue de leurs devoirs et de leurs droits, en même temps qu’il établissait, par les précédens, que la direction des débats lui appartenait exclusivement[1]. Une foule énorme restait groupée aux abords du palais dont les cours et les issues étaient gardées par les troupes de ligne, plusieurs piquets de cavalerie et de forts détachemens de la garde nationale. Deux colonels de cette garde, MM. Ladvocat et Feisthamel, étaient chargés spécialement de veiller à la sûreté des accusés. Sous les ordres du général de Lafayette et du président, le général Fabvier avait le commandement supérieur de toutes les troupes, d’un effectif d’environ 2,000 hommes, y compris la police. Le palais était exceptionnellement fortifié par des grilles et des enceintes improvisées; on n’y pénétrait qu’avec des cartes sévèrement contrôlées. Le ministre de l’intérieur, le préfet de la Seine, le préfet de police exerçaient eux-mêmes une active surveillance de tous côtés, afin d’être assurés que les mesures de précaution ordonnées depuis plusieurs jours étaient rigoureusement observées.

Vers onze heures, la cour entra en séance, et les pairs, occupèrent leurs sièges. La salle offrait un aspect saisissant. Le corps diplomatique, la chambre des députés, les cours, les tribunaux, le barreau, les représentans de la presse, les députations des écoles avaient des tribunes réservées. Une foule compacte remplissait les tribunes publiques. Parmi les hommes appelés à tenir un rôle dans ce grand débat, cette foule désignait les plus illustres : entre les pairs, ceux qui avaient été les juges du maréchal Ney; au fauteuil, ce fin et habile baron Pasquier, qui préludait à sa glorieuse présidence de dix-huit ans par une épreuve solennelle de laquelle il devait sortir victorieux; au banc des commissaires, placé à la gauche du président et faisant face aux accusés, MM. Bérenger, Madier de Montjau et Persil, solennels et graves, revêtus de l’ancien costume des députés, dont les manches et le collet n’étaient plus ornés des fleurs de lys; sur les bancs de la défense, M. de Martignac avec son visage sympathique et doux, encadré de longs cheveux et qui trahissait par sa pâleur les émotions de l’ancien ministre sur qui portait la plus lourde part dans la responsabilité de la défense; M. Paul Sauzet, avec sa haute taille, mince et flexible, ses traits altérés et son regard brillant; MM. Hennequin et Crémieux, alors dans tout l’éclat d’une célébrité que la politique laissait encore intacte.

Il fut procédé d’abord à l’appel des pairs : 163 répondirent; 29

  1. Archives nationales.