Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 21.djvu/35

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jamais brisé. Le comité central décréta que les assassins de la place Vendôme avaient bien mérité de la patrie, et le gouvernement réfugié à Versailles, l’assemblée nationale, tous les honnêtes gens, furent désespérés en comprenant dans quelle voie terrible on allait être obligé de marcher. Paris, sûr de vaincre, Versailles, voulant affirmer sa ferme volonté de reconquérir la capitale de la France, avaient hâte d’en venir aux mains. Le 2 avril, des fédérés et des troupes de ligne se trouvèrent face à face dans l’avenue de Neuilly ; avant d’ouvrir le feu on voulut essayer encore, malgré tant de douloureuses expériences, de ramener les insurgés à la sagesse et au respect des lois. M. Pasquier, chirurgien en chef de l’armée, revêtu de son uniforme, portant la croix de Genève au bras et au képi, s’avance en parlementaire ; il est immédiatement tué. Dès lors la guerre fut sans merci. Le 3 avril, la commune veut marcher sur Versailles et faire cette fameuse opération dont le lieutenant de marine Lullier, un de ses généraux, a dit : « Au point de vue politique, cette sortie était insensée ; au point de vue militaire, elle était au-dessous de toute critique. » À Châtillon, le général Duval fut pris et fusillé sur place. Flourens, dont les troupes étaient en débandade, se réfugie chez un aubergiste près du pont de Chatou ; il est découvert et reconnu au moment où il changeait de costume ; un capitaine de gendarmerie lui fend la tête d’un coup de sabre. L’armée régulière se conformait aux exemples que les fédérés lui avaient trop fréquemment donnés ; de part et d’autre, on n’eut plus de pitié ; ce fut bien une guerre fraternelle. Et solita fratribus odia, a dit Tacite.

On allait voir ce que peut faire un peuple sans mesure et sans instruction, lorsqu’il est livré à lui-même et qu’il se laisse dominer par ses propres instincts. L’intérêt de ceux qui avaient saisi la direction de ses destinées était de le surexciter, de l’amener à ce paroxysme inconscient où l’homme redevient la bête féroce naturelle. Comme le combat devait être à outrance, on exaspéra les combattans jusqu’au délire, on ne leur ménagea rien, ni les mensonges, ni les menaces, ni les flagorneries, ni l’argent, ni l’eau-de-vie. On peut affirmer, sans exagération, que pendant deux mois Paris fut en proie à l’ivresse furieuse. Ce que le comité central avait fait secrètement, la commune le faisait en quelque sorte avec la sérénité que donne la satisfaction du devoir accompli. Pendant que la tourbe obéissante et enivrée se ruait à des batailles auxquelles elle finissait par prendre goût, ses deux maîtres se disputaient et cherchaient à s’arracher leur pouvoir éphémère. Des élections avaient été ouvertes ; une apparence de légalité consacrait la commune, qui avait cru, assez naïvement, prendre la place du comité central. Celui-ci s’était solennellement engagé à se retirer, lorsque « le peuple souverain