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partie du réquisitoire énumérait les motifs de la poursuite et résumait ainsi les trois chefs d’accusation : 1o abus de pouvoir afin de fausser les élections ; 2o changement arbitraire et violent des institutions ; 3o attentat à la sûreté de l’état ; excitation à la guerre civile. Le ministère public abandonnait l’accusation en ce qui touchait les incendies. En vain les conseillers de Charles X objectaient les périls de la monarchie. M. Persil soutint qu’au moment des ordonnances aucun péril ne la menaçait, et il apporta la plus âpre, la plus incisive éloquence pour établir la culpabilité personnelle de chacun des accusés. Il conclut en ces termes : « Nous vous demandons, messieurs, la condamnation des anciens ministres parce qu’ils ont trahi les intérêts de la France, livré toutes ses libertés, déchiré son sein en y portant la guerre civile. »

Les deux journées suivantes appartinrent à la défense. Elles ne furent pas les moins brillantes ni les moins glorieuses de ce mémorable procès. Elles tirèrent leur éclat non pas seulement du talent des défenseurs, mais aussi de leur courage et de leur attitude intrépide, au milieu des passions populaires qui grondaient, déchaînées et furieuses, autour du palais du Luxembourg. M. de Martignac, à qui était échue la tâche de diriger les plaidoiries et de traiter les points généraux communs à tous les accusés, parla le premier, au milieu d’un silence sympathique. « Sans vaine rhétorique, sans affirmation de générosité à l’égard de ses anciens adversaires devenus ses humbles cliens, sans étalage de fausse sensibilité sur leur sort actuel ou d’appréhension exagérée sur leurs périls, il se plaça naturellement entre les vainqueurs et les vaincus. Il tint compte aux uns de la difficulté du temps et des hommes qu’il avait lui-même encourue, sans parvenir a la surmonter ; il leur tint compte d’un dévoûment honorable même dans ses excès et digne d’une meilleure cause ; il demanda compte aux autres de leur victoire et de l’emploi qu’ils allaient en faire. — Le sang que vous verseriez aujourd’hui, leur dit-il, pensez-vous qu’il serait le dernier ? En politique comme en religion, le martyre produit le fanatisme et le fanatisme le martyre. Ces efforts seraient vains, sans doute ; ces tentatives viendraient se briser contre une force et une volonté invincibles ; mais n’est-ce donc rien que d’avoir à punir sans cesse et à soutenir des rigueurs par d’autres rigueurs ? n’est-ce donc rien que d’habituer les yeux à l’appareil du supplice et les cœurs au tourment des victimes, au gémissement des familles ? Le coup frappé par vous ouvrirait un abîme et ces quatre têtes ne le combleraient pas… En prononçant ces paroles d’un accent solennel et prophétique, M. de Martignac se retourna vers les accusés, les couvrit en quelque sorte d’une commisération respectueuse et les remit entre nos mains avec un mélange inexprimable de grâce et d’autorité