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suite des hordes fanatisées, ont promené dans l’Asie centrale, dans la Chine et dans l’Inde la dévastation et la mort; dès que le bruit des armes cessait de retentir, les caravanes reprenaient la route accoutumée, comme on voit au lendemain de la tempête les oiseaux de mer voltiger de nouveau à la surface des vagues apaisées. La puissance qui, reprenant l’œuvre d’Alexandre le Grand, pacifiera l’Asie centrale et y assurera la sécurité des routes commerciales verra se rouvrir à son profit une source de richesse plus abondante et plus certaine que les naines du Mexique et du Pérou.

Avant d’étudier les intérêts et les forces des deux rivaux, il convient de faire connaître le champ-clos où s’engagera la lutte.

Du point où la chaîne de l’Oural commence à s’abaisser, pour descendre graduellement vers la mer Caspienne, part une autre chaîne de montagnes beaucoup plus hautes qui traverse l’Asie dans toute sa largeur et vient finir à l’Océan-Pacifique. C’est l’Altaï, dont les pics les plus élevés atteignent la région des neiges éternelles : les fleuves qui en descendent vont se perdre dans l’Océan-Glacial ou dans la mer du Kamtchatka. L’immense région située au nord de l’Altaï est soumise tout entière, sous le nom de Sibérie, à la domination russe. Parallèlement à l’Altaï court une autre chaîne de montagnes qui part du golfe Persique sous le nom d’Hindou-Koush, prend le nom d’Himalaya quand elle atteint l’élévation des neiges éternelles, et vient finir à la presqu’île de Malacca et à la mer de Chine. Toutes les contrées situées au sud de cette seconde chaîne sont soumises à l’autorité ou à la suprématie de l’Angleterre. Entre les deux chaînes de l’Altaï et de l’Himalaya s’étend l’Asie centrale, c’est-à-dire la Perse, le Turkestan et l’empire chinois, si justement nommé par ses habitans l’Empire du Milieu; mais l’Asie centrale est elle-même divisée en deux régions distinctes. Des plus hauts sommets de l’Himalaya, des vallées de moins en moins élevées descendent vers le nord comme les gradins d’un escalier gigantesque; puis, à partir des plateaux d’Alaï et de Kashgar, le terrain se relève et, par une succession d’autres vallées, remonte graduellement jusqu’aux sommets de l’Altaï. La chaîne centrale à laquelle toutes ces vallées se rattachent prend au sud divers noms : au nord, elle a reçu des Chinois, auxquels elle sert de limite, le nom de Tien-shan ou Huen-shan. Au milieu de cette chaîne s’élève, comme un pilier colossal, un pic isolé, le Tagharma, dont le sommet atteint la hauteur de 7,600 mètres et qui semble soutenir le toit du monde. Le ciel prend en effet, aux yeux des populations de ces vallées, dont l’horizon est partout fermé par les montagnes, l’apparence d’un toit appuyé sur les cimes neigeuses, et ils en ont donné le nom à leur pays. Des eaux qui descendent de ces cimes, les unes courent vers l’ouest, et vont se jeter dans le lac d’Aral ou se perdre dans le