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on le sait, sont chiites, et c’est l’inimitié entre les deux sectes musulmanes qui a toujours rendu précaire et de peu de durée la domination de la Perse sur le Turkestan. Nadir-Shah, après l’avoir rétablie, au milieu du XVIIIe siècle, par d’éclatantes victoires, essaya vainement de la consolider. Ce grand homme rêva un moment de réconcilier les deux principales sectes de l’islamisme, en leur faisant adopter, comme moyen terme, la doctrine de Djafar, l’un des douze imans successeurs d’Ali, celle qui s’éloigne le moins de l’enseignement sunnite. Il demanda même au sultan l’autorisation de faire élever à la Mecque, à côté des quatre autels où viennent prier les pèlerins des quatre rites orthodoxes, un cinquième autel qui aurait été celui des Djafariens. La Porte refusa pour ne pas servir les desseins d’un ennemi dont elle avait éprouvé la puissance, et pour ne pas se dessaisir d’un moyen d’influence dans les affaires de l’Asie centrale, où sa suprématie religieuse était acceptée par tous les sunnites. Les faibles successeurs de Nadir-Shah ne surent conserver aucune de ses conquêtes : toutes les tribus du Turkestan reprirent leur indépendance, et recommencèrent à s’épuiser par des luttes acharnées.

Cet état de choses ne pouvait manquer d’attirer l’attention des Chinois, parce que toutes les caravanes qui partent de la Chine à destination de l’Inde, de la Perse et de la Russie doivent franchir sur quelque point la chaîne centrale, dont les tribus turques détiennent toutes les passes. L’empereur Khian-loung, dont le règne, de 1736 à 1795, ne fut qu’une suite de conquêtes, n’eut pas plus tôt dompté la révolte des tribus mongoles, soulevées en 1755 contre son autorité par Dawadgi, qu’il entreprit de soumettre tous les états mahométans voisins de la Mongolie. Ce fut l’œuvre de trois années : Khuldja, Aksou, Kashgar, Yarkand, tombèrent successivement au pouvoir des Chinois. Le sultan de Badakshan, c’est-à-dire de la contrée arrosée par le cours supérieur de l’Oxus et placée par conséquent sur le versant persan, dut se reconnaître tributaire de la Chine et livrer les princes de Kashgar et de Yarkand, qui avaient cherché un refuge dans ses états. La terreur et la consternation se répandirent jusqu’en Perse. En avril 1760, Khian-loung célébra, par une entrée triomphale à Pékin, les succès des armées chinoises. Pour assurer la soumission des populations vaincues, il en déplaça une partie et il établit au milieu d’elles des familles chinoises. Il transporta ainsi une partie de la population du Kashgar, sous le nom de Tarantchis, au-delà de la chaîne du Tien-shan, sur le cours supérieur de l’Ili, où il établit également en 1770 les Torgoutes, tribus cosaques qui quittèrent les bords du Volga pour venir se replacer sous l’autorité chinoise. En 1775, Khian-loung compléta son œuvre en entreprenant de soumettre ou plutôt d’exterminer