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Les victoires des Panthaïs déterminèrent le soulèvement d’une autre population chinoise, convertie à l’islamisme, les Dunganis, établis au nord du grand désert et au sud de la Mongolie. En 1862, deux mollahs commencèrent à prêcher la guerre sainte, et, à la tête de quelques centaines de partisans, attaquèrent et prirent la petite ville de Tazgi. Ce fut le point de départ d’une insurrection générale qui embrassa bientôt les deux provinces de Hansu et de Chen-si. La ville d’Amritsi, centre d’un commerce considérable, fut prise d’assaut et saccagée; 130,000 Chinois et Mandchoux y furent passés au fil de l’épée; les immenses bazars et les dépôts de thé que la ville renfermait furent livrés aux flammes. L’insurrection avait également gagné le gouvernement de Khuldja, qui confine à la Sibérie, et où les autorités chinoises avaient découvert, dès 1860, des complots musulmans. Toutes les villes de cette province tombèrent successivement au pouvoir des musulmans, à l’exception de Khuldja, où le gouverneur général chinois s’était renfermé avec 8,000 Mandchoux. Les Dunganis et les Tarantchis se réunirent pour l’assiéger. La ville fut prise d’assaut et la population chinoise massacrée; la garnison mandchoue, réfugiée dans la citadelle, s’y défendit obstinément; lorsqu’elle eut épuisé ses vivres et perdu tout espoir d’être secourue, elle fit sauter la place et s’ensevelit sous les ruines. D’une cité florissante de plus de 30,000 âmes, il ne resta que des décombres. Les Chinois exterminés ou expulsés, la discorde se mit entre les musulmans : les Tarantchis, originaires du Kashgar, établis dans le pays par Khian-loung et adonnés à l’agriculture, voulurent demeurer maîtres de la province, et une lutte s’engagea entre eux et les chefs des Dunganis. Cette lutte se continua avec des fortunes diverses jusqu’en 1870; un corps d’armée russe pénétra alors dans la province, battit successivement tous les prétendans et occupa le pays militairement. En même temps, le gouvernement russe fit savoir à Pékin qu’il était prêt à remettre la province à un commandant chinois, si la cour céleste y envoyait des forces suffisantes pour rétablir et faire reconnaître son autorité. Cette condition n’a pu encore être remplie par la cour de Pékin, soit que l’éloignement et la nécessité de traverser le grand désert y aient mis obstacle, soit qu’elle n’attache pas assez d’importance à cette dépendance lointaine : Tune des plus fertiles contrées de l’Asie centrale demeure donc et demeurera sans doute indéfiniment aux mains de la Russie. Les musulmans de la province de Khuldja se trouvent avoir échangé l’autorité faible et tolérante des Chinois contre le despotisme méthodique et rigide des Russes; mais épuisés par plusieurs années de luttes intestines, ils subissent en frémissant le joug d’infidèles qui, à leurs yeux, ne sont ni moins idolâtres ni moins impurs que les bouddhistes.