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en même temps une avance à l’Angleterre, dont Yakoub-Khan désirait obtenir la bienveillance et l’appui. Il envoya dans l’Inde un de ses principaux lieutenans, un Khokandien qui avait toute sa confiance, Akrar-Khan, chargé de recruter des instructeurs militaires et des artisans habiles, mais avec la mission secrète de faire des ouvertures aux autorités anglo-indiennes. La lutte des Kashgariens contre la puissance chinoise avait excité un vif intérêt parmi les musulmans de l’Inde : la caravane qui vient annuellement de Kashgar à Lahore alimentait cette curiosité par ses récits, et le rapide développement du nouvel état ne pouvait manquer d’éveiller l’attention du gouvernement de Calcutta. Celui-ci voulut savoir à quoi s’en tenir sur l’importance et les chances de durée de l’œuvre entreprise par Yakoub-Khan, et il envoya à Kashgar en 1870 un de ses agens les plus habiles, M. Douglas Forsyth, avec la mission ostensible de négocier un traité de commerce, et de chercher les moyens de rétablir les communications interrompues entre l’Inde et le Khotan. Il existe, pour se rendre dans le Khotan, une route relativement facile par la vallée de Cachemir et le Rudok; mais elle oblige à traverser un territoire encore au pouvoir de la Chine, et les autorités chinoises, mises en défiance contre les Anglais depuis les rapports de ceux-ci avec les Panthaïs, ont interdit absolument cette voie aux caravanes. L’objet essentiel du voyage de M. Forsyth était de recueillir des renseignemens complets sur un pays où nul Européen n’avait pénétré depuis Marco-Polo. La mission anglaise s’achemina donc à petites journées : elle put se convaincre que les récits du célèbre voyageur vénitien sur les richesses naturelles de cette contrée n’avaient rien d’exagéré. Elle trouva, à sa grande surprise, une population laborieuse et aisée, un état bien ordonné, un souverain intelligent et actif dont l’autorité est obéie sans hésitation jusque dans les gorges les plus reculées des montagnes. Partout des routes carrossables, avec des relais de poste et des maisons pour recevoir et abriter les voyageurs isolés ou les caravanes peu nombreuses, des ponts bien entretenus sur les principales rivières, et partout aussi une sécurité absolue pour les personnes et les propriétés. Rien ne pouvait différer davantage du tableau que les Anglais avaient sous les yeux dans l’Afghanistan et de la peinture que les Russes se plaisent à faire de leurs nouveaux sujets du Turkestan occidental.

Il est évident que la domination chinoise n’a pas été sans compensations pour le Kashgar. Elle y a introduit une civilisation fort supérieure à celle des autres états turcs; elle y a développé l’agriculture, fertilisé le sol par des irrigations bien entendues et amélioré diverses industries. Les tissus de soie et de laine du Khotan