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mettre en danger la domination russe, et M. Schuyier reconnaît d’ailleurs qu’un ordre plus rigoureux et une comptabilité plus sévère commencent à s’établir.

Un péril plus sérieux est le mécontentement des populations écrasées d’impôts, inquiètes pour leur foi religieuse, et fidèles à des traditions et à des préjugés que l’administration russe heurte sans ménagement. La nouvelle domination, succédant à une longue période de guerres civiles, a été d’abord accueillie comme une délivrance par la population des villes, parce qu’elle apportait avec elle la paix, la fin de continuelles tueries et le terme des exactions incessantes des beys. Ces sentimens n’ont pas tardé à se modifier. Par des proclamations lues aux populations assemblées dans les bazars, les Russes avaient solennellement promis de s’en tenir à la dîme, à la taxe sur les terres et au droit d’entrée dans les bazars; ces impôts étaient les seuls qui devaient être perçus, ils ne devaient pas être augmentés et les bases n’en devaient pas être changées. Aucune de ces promesses n’a été tenue; de proportionnels au rendement des récoltes, les impôts ont été rendus fixes : chaque district doit payer tous les ans la même somme, même quand les récoltes ont été faibles ou ont manqué absolument. En même temps que les anciens impôts étaient rendus plus lourds par un mode de perception inusité, de nouvelles taxes étaient établies en vue de subvenir à des dépenses locales. Quelques-unes, comme la taxe pour l’entretien des routes, ont une destination utile; mais l’Asiatique, peu sensible à des améliorations qu’il n’a point désirées et qu’il n’apprécie pas encore, ne fait point de distinction entre les impôts perçus pour le gouvernement et les taxes appliquées aux dépenses locales : il ne considère que le montant total des sommes exigées de lui par le fisc, et il trouve que la nouvelle administration est plus onéreuse pour lui que celle de ses anciens maîtres. Ce sentiment est d’autant plus naturel que certains préfets russes ne se font pas faute d’ajouter aux impôts réguliers quelques menues perceptions qu’ils opèrent pour leur compte, et d’appliquer à leurs besoins personnels, à l’ameublement de leurs habitations ou à l’entretien de leurs jardins le produit des taxes locales.

Les Russes ont fait table rase des institutions politiques qu’ils ont trouvées établies dans le Turkestan. Au-dessous du khan gouvernant directement un district et suzerain de tout le territoire, régnait dans chaque ville un bey, dont la dignité était l’apanage d’une famille, et qui administrait librement son petit état à la charge d’accompagner son souverain à la guerre, de lui payer un tribut et de lui envoyer souvent des présens. Sous l’autorité du bey, les aksakals administraient les petites localités et les villages. C’était la féodalité pure; les populations étaient façonnées à ce régime, dans