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La bibliothèque libre.
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de provoquer l’achat des ouvrages qu’il désire et que ne contient pas le catalogue. Ce n’est pas tout. Cette bibliothèque, déjà si riche, a des succursales en divers quartiers de Boston, afin que les habitans n’aient guère à se déplacer pour se procurer les livres dont ils ont envie. Il y a même, paraît-il, en certains faubourgs des bureaux d’échange où un employé se rend à jours et à heures fixes pour recevoir les demandes et livrer les volumes demandés. En un mot, la bibliothèque va au-devant du public. Elle se soucie peu que ses trésors soient égarés ou détériorés par l’usage, pourvu que les lecteurs soient satisfaits. Ajoutons cependant que les livres précieux ou rares qu’il serait difficile ou coûteux de remplacer sont exclus de ces prêts au dehors. En somme, c’est un vaste cabinet de lecture pourvu de ressources considérables, et dont la population ouvrière profite beaucoup. C’était le but essentiel que les fondateurs avaient en vue. On a objecté aux institutions de ce genre que la masse du public n’a de goût en général que pour les lectures frivoles, et qu’il est malséant que cette fâcheuse disposition soit encouragée aux frais du budget de l’état ou de la commune ; mais, en Amérique aussi bien qu’en d’autres pays où l’expérience en a été faite, on a reconnu que le goût s’épure peu à peu, si bien que les bons livres sont seuls réclamés plus tard par ceux même qui n’y prenaient d’abord aucun plaisir.

Ticknor avait compris dès le début que la bibliothèque de Boston devait être créée sur ce principe; une lettre qu’il écrivait en 1851 à son ami Edward Everett, alors sénateur du Massachusetts, en contient l’exposé tout au long. Celui-ci, qui avait aussi voyagé en Europe, s’en serait tenu volontiers aux habitudes européennes. Ticknor insiste; ce qu’il veut, c’est procurer aux jeunes gens sortis de l’école de nouveaux élémens d’instruction qui puissent s’associer au travail manuel quotidien; il pense que la bibliothèque projetée devra non-seulement recevoir les productions de la littérature amusante dans leur primeur, mais encore en avoir assez d’exemplaires pour satisfaire à tous les besoins. Il faut suivre le goût populaire, dit-il, à moins qu’il ne soit dépravé, et faire naître par ce moyen l’appétit des lectures utiles. Alors ce que les lecteurs voudront sera meilleur; en y aidant un peu, sans contrarier les gens, on les amènera à un degré de culture intellectuelle de plus en plus élevé.

Il y avait déjà dans les greniers de l’hôtel de ville de Boston quelques milliers de volumes donnés par diverses personnes. La plupart étaient des documens officiels, peu attrayans pour les petites gens à qui l’on voulait inculquer l’habitude des bonnes lectures. La caisse municipale avait reçu peu d’années auparavant d’un ancien maire de la ville une somme de 1,000 dollars pour la création d’une bibliothèque