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salon de Mme de Staël mourante, dans ceux de Mme de Chateaubriand et de Mme Benjamin Constant; puis en 1818 et 1819 dans les salons plus brillans de Mme la duchesse de Duras, de Mme de Broglie, de la comtesse de Sainte-Aulaire, sans oublier les samedis des Tuileries, où la duchesse de Duras, en sa qualité de femme du premier gentilhomme de la Chambre, recevait avec une grâce incomparable; enfin, pendant l’hiver de 1837 à 1838, où Mme de Broglie et Mme de Rauzan tenaient la place de leurs mères, où les salons de MM. Thiers, Guizot et Molé ne rappelaient guère les grâces féminines et l’élégance de l’époque précédente. En 1857, tout était changé. C’était une autre atmosphère. Les vieilles traditions étaient oubliées; les vieilles mœurs avaient disparu. Et qu’y avait-il en place? Paris est à l’extérieur la plus magnifique capitale de l’Europe; cette ville devient plus brillante et plus attrayante de jour en jour; mais que sont devenus les salons? que sont devenus la grâce, l’esprit, la conversation qui imprimait à la langue un caractère particulier et l’avait faite ce qu’elle est? »

En arrivant à Londres, il se retrouvait au contraire, malgré les chaleurs de l’été, dans la saison la plus brillante. Il y avait dans le monde parlementaire qu’il fréquentait le plus volontiers quelques hommes politiques d’un rare talent dont le commerce lui était fort agréable : en tête Macaulay, le lion du moment, qui se partageait avec de Tocqueville, alors en Angleterre, la faveur de cette société distinguée, puis sir George Cornewall Lewis, à la fois littérateur et homme d’état, excellent en l’un et l’autre genre. Ce sont de ces gens dont il se plaisait à dire qu’il vaut mieux les écouter que de parler soi-même. Au reste la situation politique était assez calme pour ne troubler en rien le charme des relations mondaines. Les Anglais manifestaient, suivant leur coutume, quelque irritation contre les procédés du gouvernement fédéral : c’était peu de chose. Les plus mal disposés disaient même que, les États-Unis se fortifiant de plus en plus, il était préférable d’entrer en lutte contre eux le plus tôt possible. Au fond, ces dissentimens n’avaient guère d’importance. La révolte de l’Inde, dont on avait reçu les premières nouvelles, n’inquiétait pas davantage parce qu’on n’en soupçonnait pas encore la gravité. En somme, rien n’attristait les réunions de la saison.

Est-ce encore un effet de l’âge? Ticknor ne se plaint que d’une chose : c’est que les repas d’apparat soient trop fréquens, trop longs, trop abondamment servis. « Les déjeuners, écrit-il, sont formidables : ce sont des dîners déguisés ; mais on y a de l’agrément ; le vieux lord Lansdowne m’a dit que c’est ce qu’il préfère dans la société. » Les lunches sont de même, et les dîners commencent à huit