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à l’Opéra-Comique : jouer chaque année le tout pour le tout, risquer sur le nom d’un auteur le succès, l’existence de son entreprise, réussir vaille que vaille et gagner ainsi la clôture d’été, de tels calculs sont admissibles quand c’est l’impresario d’une scène secondaire qui les fait. Qu’un directeur du Vaudeville, après avoir représenté deux cents fois la pièce de M. Sardou, ferme son théâtre pour le rouvrir six semaines plus tard par une autre pièce du même M. Sardou qu’il jouera également deux cents fois, ce ne sont point là les affaires de l’état ni les nôtres, qui ne nous occupons que de la question d’art; mais dès qu’il s’agit des théâtres subventionnés, le point de vue change : l’Opéra-Comique, pas plus que le Théâtre-Lyrique et l’Odéon, n’a le droit au libre exercice. En retour des subsides qu’il accorde, l’état impose des cahiers des charges. Or comment voyons-nous que ces conditions soient remplies? qui s’occupe de veiller au maintien du genre? qui songe à ces traditions d’école que Bizet, dans Carmen, cherchait à restaurer selon l’esprit des temps? Roméo et Juliette, Cinq-Mars, sont des grands opéras dont la place est ailleurs et qui ne font ici qu’encombrer la voie et rendre impossible la bonne exécution du répertoire en intronisant un système de déclamation lyrique sans rapport avec le théâtre d’Auber, d’Hérold et de Boïeldieu. Et ce fameux avenir des jeunes compositeurs, qui figure sur tous les rapports du budget comme jadis l’indépendance de la Pologne, parlons-en donc un peu. Quel sera le sort des nouveaux dans une entreprise vouée au culte d’une idole unique et qui va tantôt fermer ses portes pour trois mois, après en avoir employé neuf à solliciter, à monter, à jouer, à remanier, à reprendre tel chef-d’œuvre de l’auteur qu’on renomme. Encore une belle invention, ces clôtures annuelles qui ne servent qu’à distendre tous les ressorts d’une administration, qu’à désagréger l’ensemble d’une troupe, et donnent aux comédiens des habitudes de vie nomade! L’Odéon, si je ne me trompe, fut le premier à mettre en pratique cet abus, d’ailleurs complètement d’accord avec la bonne entente des intérêts de la maison, le directeur par excellence devant être celui qui s’arrangera de manière à tenir son théâtre fermé neuf mois pour ne jouer que des reprises pendant le reste de l’année. Il semble que nous plaisantions, et pourtant rien n’est plus sérieux; le mal que nous signalons empire chaque jour, et du train dont on laisse aller les choses il n’y aura plus avant peu, en dehors de l’Opéra, que des scènes d’opérettes et des cafés-chantans. N’avons-nous pas entendu dire, à propos de la reprise de Fra Diavolo, que cet ouvrage, un des chefs-d’œuvre du genre, trouverait une interprétation plus convenable soit aux Variétés, soit aux Folies-Dramatiques? Une situation à ce point compromise appelle l’attention de l’autorité supérieure. L’esprit de camaraderie, la condescendance des bureaux, ont tout gâté; il s’agit à présent que la question soit portée devant le ministre, qui jugera à quel