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donneraient pour du talent. Il entendait que cette maison restât un asile sérieux et respecté ; il était parfaitement décidé à la fermer aux prépotences de la vanité, aux tyrannies de secte, aux inventions malsaines, à la fausse littérature ou à la littérature industrielle qui commençait à lever son drapeau. C’était assez pour nouer par degrés contre lui la coalition de tous ceux qui croyaient avoir à se plaindre, qui avaient essuyé une critique ou un refus. C’était plus qu’il ne fallait pour préparer des orages comme celui qui éclatait vers la fin de 1844 contre la Revue et son directeur. Alexandre Dumas, dans un moment d’humeur violente, s’excitant lui-même et ramassant tous les griefs, tous les ressentimens, conduisait bruyamment l’assaut comme il aurait conduit une comédie ou un drame.

Pour le coup la Revue ressemblait à une place assiégée. Heureusement elle n’était plus déjà facile à prendre, et dans cette lutte elle avait pour défenseur, avec Buloz lui-même, Sainte-Beuve, qui se faisait un devoir de relever ces défis, ce qu’il appelait des « attaques violentes et outrageuses. » Sainte-Beuve, dans des études successives, — Dix ans après, — la Littérature industrielle, — Quelques vérités sur la littérature, — avait déjà signalé les progrès du désordre littéraire qui éclatait maintenant sans frein, et, par les pages nouvelles qu’il publiait sous le titre de la Revue en 1845, il se plaisait à venger l’œuvre et le directeur. Il félicitait Buloz de « l’incroyable déluge d’invectives » qu’on amoncelait contre lui. « Nous pourrions bien lui affirmer, disait-il, que ce n’est point tant à cause des inconvéniens et des défauts que toute œuvre collective et tout homme de publicité apportent presque inévitablement jusqu’au sein de leurs qualités et de leurs mérites qu’il est attaqué et injurié avec cette violence ; mais c’est précisément à cause de ses qualités mêmes, — qu’il le sache bien et qu’il en redouble de courage s’il en avait besoin, — c’est pour sa fermeté à repousser de mauvaises doctrines, de mauvaises pratiques littéraires, et pour l’espèce de digue qu’il est parvenu à élever contre elles et dont s’irritent les vanités déchaînées par les intérêts… » Et prenant corps à corps les assaillans, montrant toute une race nouvelle « sans principes, sans scrupules, habile et rompue à la phrase, âpre au gain, une race résolue à tout, » Sainte-Beuve ajoutait : « La reconnaissez-vous, et est-ce assez vous marquer par l’effigie cette monnaie de nos petits Catilinas ? Que le public qui voit les injures sache du moins à quel prix on les a méritées. Ce qu’à toute heure du jour un recueil qui veut se maintenir dans de droites lignes se voit contraint à repousser de pamphlétaires, de libellistes qui veulent s’imposer et qui, refusés deux ou trois fois, deviennent implacables, ce nombre-là ne saurait s’imaginer. De là les haines ; de là aussi