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s’écriait : — Il n’avait pas neigé dru, mais il était tombé une sucrée de neige. ~ Et il en est ainsi de toutes choses dans la vie rustique; l’imagination enfantine du paysan les lui peint immédiatement sous une forme vivante, pittoresque toujours et souvent poétique. Y a-t-il dans la poésie des lettrés un cri plus lyrique et plus passionné que ces quatre vers d’une chanson de l’Angoumois:

Ah! soleil, fonds les rochers!
Ah! lune, bois les rivières!
Que je puisse regarder
Mon amant, qui est derrière...

Hélas! la centralisation arrive comme une marée montante, et, en France surtout, elle pousse de tous côtés dans les provinces les flots ternes et limoneux de ses grandes eaux. Même quand ce flot banal ne séjourne pas, après l’inondation le sol reste ensablé, et à la place où s’épanouissait l’originale floraison des coutumes et de la langue rustiques, on ne retrouve plus qu’une couche uniforme de gravier grisâtre. De jour en jour les costumes provinciaux disparaissent, les usages se perdent; les enfans d’à présent ne savent plus parler le patois de leur pays, et les jeunes gens ont oublié les chansons de leurs pères. L’antique province avec sa physionomie si personnelle et si variée de couleur n’existe déjà plus que comme une aïeule agonisante. Elle ne se rappelle plus la langue d’autrefois ou elle n’en répète plus que des lambeaux incohérens. Encore un peu de temps, et elle sera tout à fait morte; alors on s’apercevra qu’elle avait du bon et on se disputera ses reliques.

Depuis une vingtaine d’années, on commence déjà à comprendre qu’on possède un trésor et qu’on l’a laissé s’éparpiller. Voilà longtemps que chez nos voisins, en Angleterre, en Allemagne, en Italie, on s’est occupé de recueillir pieusement les vieilles traditions et les chants populaires ; chez nous, on a procédé lentement et dédaigneusement à ce travail tardif. Un grand romancier, George Sand, et un poète, Gérard de Nerval, furent les premiers à signaler les richesses qu’on laissait perdre. Un peu plus tard, M. Fortoul, pendant son passage au ministère de l’instruction publique, conçut le projet de publier un recueil de nos chansons populaires ; mais il confia le soin d’utiliser les documens recueillis en province à des historiens et à des érudits qui n’avaient pas la foi. Ils se mirent à la besogne sans conviction, et les matériaux amassés dorment encore aujourd’hui dans quelque coin de bibliothèque. Comme toujours, l’initiative privée a obtenu de meilleurs résultats. En 1860, un admirateur de la poésie rustique, M. Champfleury, publia, avec l’aide d’un savant compositeur, M. Wekerlin, un choix de chansons