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resté sans ordres, il s’adressa à M. Place, inspecteur-général des prisons de la Seine, et n’en put recevoir aucune instruction. On savait que l’insurrection était maîtresse de Paris, on se sentait bien près de la préfecture de police, contre laquelle un mouvement serait certainement dirigé ; on se tint forclos, on enjoignit aux sœurs de Marie-Joseph d’avoir à revêtir des costumes laïques et on attendit. Le personnel des surveillans, presque tous choisis parmi d’anciens sous-officiers, était à son poste. À onze heures du soir, le 101e bataillon, l’un des plus ardens pour la commune, s’empara de la place Dauphine, sous les ordres d’un certain Jollivet, qui fit une tumultueuse perquisition dans la préfecture de police afin d’y découvrir un prétendu dépôt de 40,000 fusils, dont pas un n’existait. Pendant que Jollivet et ses hommes saccageaient les bureaux de la première division, Lullier, qui dès lors prenait le titre de général en chef, arriva à la tête d’une troupe nombreuse de fédérés. Les deux bandes fraternisèrent un peu ; on échangea quelques verres d’eau-de-vie, des poignées de main, des vivats, et Lullier, obliquant par la rue de Harlay, passant sur le quai de l’Horloge, entra dans la cour du dépôt. La foule armée qui le suivait s’y précipita comme une trombe. À peine éclairées par un réverbère, les murailles montraient les solides barreaux protégeant les fenêtres ; la lourde porte de fer était fermée. On l’attaqua à coups de crosse, à coups de pierres, à coups de pied ; chaque heurt retentissait comme une détonation d’artillerie dans l’intérieur du dépôt. M. Coré fit ouvrir la porte et parlementa avec Lullier ; les fédérés, surexcités par la victoire et par le vin, vociféraient et demandaient simplement que tous les gardiens fussent passés par les armes.

Un sous-brigadier, nommé Pierre Braquond, homme de sang-froid et d’une rare énergie, dit à Lullier : « Est-ce que vous allez nous laisser égorger par tous ces gens-là ? vous êtes leur chef, dites-leur de respecter de vieux soldats ! » Lullier, qui n’était rien moins que cruel, se tourna vers ses hommes et leur fit cette étrange allocution : « Citoyens, vous allez me jurer de ne faire aucun mal à ces employés, je les connais ; ce sont de charmans garçons : levez la main et jurez de ne point souiller la victoire du peuple ! » Les fédérés jurèrent et se mirent à crier : « Nos camarades ! nos camarades ! Viard ! Chouteau ! Chouteau ! » Lullier les apaisa d’un geste, entra au greffe, suivi de quelques-uns de ses officiers, se fit présenter le registre d’écrou et donna l’ordre de mettre immédiatement en liberté : Prudhomme (Alexandre-Antoine), Viard (Pompée-Auguste), Chouteau (Henri-Louis), amenés le matin même au dépôt sur mandat du capitaine rapporteur du IXe secteur pour cause d’excitation à la guerre civile. Libérés à l’instant même, ils furent