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brigadiers, sous-brigadiers, surveillans, appartenant à l’administration normale, qui n’ont point abandonné leur poste, ont, dans bien des cas, tenu tête aux fédérés et, au moment suprême, se sont associés à la résistance des prisonniers. Ceci ressort absolument de tous les documens qui ont passé sous nos yeux et nous ont permis d’entreprendre cette étude de pathologie sociale ; mais si les surveillans, soupçonnés, injuriés, menacés par les gens de la commune, n’ont point déserté les maisons pénitentiaires dont ils avaient la garde, c’est à M. Bonjean qu’on le doit. Il avait précédé tous les otages religieux, car le premier de ceux-ci fut M. Blondeau, curé de Plaisance, arrêté le 31 mars. Seul, dans sa cellule, assis sur l’escabeau de bois ou étendu sur le dur grabat, M. Bonjean avait réfléchi : il ne se faisait aucune illusion sur la bestialité instinctive et voulue des hommes d’aventure qui s’étaient emparés de Paris ; il s’attendait à un nouveau 2 septembre, il croyait à un massacre dans les prisons et était persuadé que la commune entasserait dans celles-ci tout ce qu’elle parviendrait à découvrir de gens considérables par leur position, leur fortune ou leur nom. Il résolut donc, pour assurer quelque protection aux détenus qui ne manqueraient pas d’être jetés derrière la porte des geôles, d’user de toute son influence pour engager le personnel des surveillans à rester courageusement au devoir. La situation de ces braves gens était fort critique et très embarrassante : ils n’ignoraient pas qu’ordre avait été transmis à tout employé du gouvernement de se replier sur Versailles ; rester, c’était en quelque sorte s’associer à des faits de révolte ; s’en aller, c’était livrer les détenus à toutes les fantaisies de la commune. Cette question, d’où leur avenir pouvait dépendre, les troublait beaucoup ; ce fut M. Bonjean qui dénoua la difficulté. Le 29 avril, il avait reçu, pendant une absence de Garreau, la visite de M. Durlin, second greffier à la maison de justice ; il l’avait adjuré de ne point quitter la Conciergerie et de veiller sur les pauvres gendarmes qui y étaient enfermés. Cette recommandation ne fut point perdue, nous le verrons plus tard. Il connaissait trop bien l’administration pour ne pas savoir qu’elle obéit à une hiérarchie indispensable et que les surveillans seraient hésitans et anxieux tant qu’ils pourraient ne pas se croire approuvés par leur chef direct ; or ce chef direct était à Versailles, et les routes, on l’a vu par l’arrêté de Lucien Henry, n’étaient point positivement libres. M. Bonjean, se fiant sans réserve et avec raison au dévoûment que tous les employés de la prison lui témoignaient, écrivit à M. Paul Fabre, procureur-général à la cour de cassation, une lettre datée du 30 mars 1871, sept heures du matin, dont le texte même est sous nos yeux et qu’il faut citer tout entière, car elle eut d’inappréciables résultats :