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le jeune Seigneret, un sacristain, un bedeau, un prêtre ou un moine, on l’enfermera, sans autre forme de procès, parce qu’il adore un Dieu que la commune ne reconnaît pas, et s’il demande pourquoi on l’arrête, on lui répondra : « voilà quinze cents ans que vous nous la faites, et ça finit par nous embêter. » C’est du moins ce que Raoul Rigault répondit à l’archevêque. Ces prêtres étaient bien placés entre les mains de Garreau, qui éprouvait, on ne sait pourquoi, une telle haine contre tout ce qui touchait à la religion, que l’on fut obligé, le 29 mars, de faire partir les sœurs de Marie-Joseph, quoique déguisées sous vêtemens ordinaires, parce qu’il parlait sans cesse de faire fusiller « toutes ces nonnes. »

Chez l’abbé Deguerry, on avait pillé comme dans une ville mise à sac ; à l’archevêché, on y mit un peu moins de sans façon. L’archevêque avait été arrêté à son domicile par un capitaine de fédérés nommé Révol, homme assez complexe, à ce qu’il paraît, car, s’il avait porté, sans hésiter, la main sur Mgr Darboy, il fit des efforts sérieux pour obtenir l’élargissement de l’abbé Crozes, qui avait été saisi dans l’antichambre de Raoul Rigault au moment où il venait demander une permission pour visiter un prêtre détenu. Ce Révol fut incarcéré à son tour et écroué à Mazas ; il put en sortir le 22 mai, se mêla aux derniers combattans de la commune, et, moins spirituel que la plupart de ses chefs, se laissa prendre et fut exécuté dans les fossés du château de Vincennes, en compagnie d’un prince Bagration, fourvoyé, on ne sait comme, dans cette sanglante mascarade. Il eut quelques égards pour l’archevêque et permit que celui-ci fût amené à la préfecture de police dans sa propre voiture, qui fut immédiatement réquisitionnée comme étant de bonne prise, et servit à promener dans Paris Raoul Rigault, son ami Gaston Dacosta, et parfois aussi quelques péronnelles ramassées un peu partout. Le service auquel les chevaux furent tout d’abord condamnés ne dut point leur paraître une sinécure, car dans les deux jours qui suivirent l’arrestation de Mgr Darboy, ils firent vingt-huit voyages entre la préfecture et l’archevêché ; la voiture était devenue voiture de déménagement, car on déménageait l’appartement de l’archevêque. Biens d’église, biens d’émigrés : biens nationaux ; — Flourens l’avait décrété au lendemain de la victoire. Tous les ornemens d’église, tous les vêtemens sacerdotaux étaient apportés à la préfecture et jetés pêle-mêle dans les bureaux de la police municipale ou dans ceux de la première division. C’était là une tentation bien forte pour les fédérés libres penseurs, qui s’écriaient puérilement dans leurs journaux : Nous biffons Dieu ! Ils ne surent y résister et ne perdirent pas cette occasion de faire une malpropreté de plus ; ils coiffèrent les mitres, revêtirent les chasubles, prirent en main les