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on compte 3,632 entrées du 18 mars au 23 mai 1871 ; ce jour-là, la prison de la préfecture de police reçoit son dernier détenu, Hélouin (Joseph) brasseur, qualifié d’agent bonapartiste. C’est du reste la qualification que l’on donnait habituellement aux gens arrêtés sans motif. Celui-là était un inconnu sans importance ; mais le 21 mai le dépôt s’était refermé sur un personnage qui paraît avoir joué un rôle considérable dans les événemens où Paris trouva sa délivrance. Sous le no 3440, on écroue Jean Veysset, agriculteur, âgé de cinquante-neuf ans : espion à garder avec soin à la disposition de Ferré. C’était là une précieuse capture pour la commune ; elle venait de mettre la main sur un homme entreprenant, énergique, habile, qui avait courageusement risqué sa vie pour faciliter l’entrée de Paris aux troupes de Versailles, et qui avait réussi. Il était soupçonné, surveillé depuis longtemps par les nombreux agens secrets de Raoul Rigault et de Ferré ; mais il avait dépisté toute recherche jusqu’au jour où, livré par une misérable portière âpre au gain, il était tombé entre les griffes de Théophile Ferré. Déjà, dans la nuit du 11 au 12 mai, des Vengeurs de Flourens escortant un commissaire de police avaient envahi son domicile, rue Caumartin, et, ne l’y découvrant pas, avaient conduit, sa femme, Mme de Forsans-Veysset, à la permanence, qui l’avait immédiatement fait écrouer au dépôt. Elle sut n’y pas demeurer longtemps. Connaissant la très périlleuse négociation à laquelle son mari était mêlé, elle avait tout à redouter pour elle, se sentait trop près de Ferré et voulut s’en éloigner. Moyennant une somme de 3,000 francs remise à Cournet, elle obtint d’être transférée à Saint-Lazare, où elle fut placée à la pistole avec les femmes des sergens de ville incarcérées.

M. Veysset avait été inscrit au registre du dépôt avec le prénom de Jean ; en réalité il se nommait George. Chargé pendant le siège d’une partie de l’approvisionnement de Paris, il avait entretenu forcément de nombreuses relations avec les membres du gouvernement de la défense nationale, relations que l’armistice et la paix n’avaient point brisées. Il rêva de devenir, après le 18 mars, l’intermédiaire entre la commune et le gouvernement de Versailles, de façon à éviter la lutte que l’on redoutait et à remettre Paris à des mains légitimes. Le gouvernement régulier ne repoussa point ses offres et l’encouragea à poursuivre l’accomplissement de son projet. Il avait été question d’abord d’opérer une puissante diversion dans Paris ; plusieurs chefs militaire de la commune furent tâtés, ne se montrèrent pas trop rebelles, et peut-être aurait-on essayé d’atteindre un résultat sérieux, lorsque le gouvernement de Versailles, modifiant ses intentions premières, engagea George Veysset à pratiquer un chef de troupes fédérées et à obtenir l’abandon d’une ou de deux