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les grands poètes de l’Allemagne : Goethe, Heine et Uhland. Il fait voir par de nombreux exemples quel sang jeune ces lieder du peuple ont infusé à la poésie lyrique. C’est en s’assimilant cette poésie rustique où le sentiment éclôt avec la spontanéité et la simplicité d’une fleur, que Goethe, Uhland et Heine ont trouvé pour leurs poèmes une forme colorée, vivante, précise et en même temps exempte de rhétorique et de déclamation. Après nous avoir révélé toutes ces merveilles lyriques qui sont le trésor de l’Allemagne lettrée, M. Edouard Schuré a été amené à conclure que, malgré le magnifique épanouissement de 1820, la poésie, chez nous, est, sur plusieurs points, inférieure à celle des Allemands. « Elle est, dit-il, plutôt un art de lettrés qu’une force vive, sortant des profondeurs de la nation et y faisant circuler la joie et l’enthousiasme. » A propos de cette infériorité, M. Schuré rappelle une observation qui lui a été faite à l’étranger, et que j’ai eu également l’occasion d’entendre formuler par des écrivains anglais et allemands : « Lorsqu’un étranger lit la plupart de nos grands poètes, il est frappé tout d’abord par le caractère oratoire qui défigure parfois leurs plus belles créations. Pourquoi tant de rhétorique et de vains ornemens? nous disent-ils. Vos poètes méditent, raisonnent et font la philosophie de leurs sentimens... C’est là de l’éloquence; mais le vrai poète n’a pas besoin de démonstration, sa muse le transporte bien au-dessus des luttes de l’école... Comment songerait-il à démontrer son amour et sa foi, puisqu’il en est pénétré jusqu’au fond de l’âme et ne fait qu’un avec eux?.. Vous autres, vous voulez tout dire et ne laisser rien deviner. Vous déclamez admirablement en vers, vous ne chantez pas. »

Il y a beaucoup de vrai dans cette critique. Comme remède, M. Schuré propose à nos poètes de suivre l’exemple des Allemands et de chercher dans les chansons populaires ce qui manque trop souvent à notre poésie lyrique : la sincérité, la sobriété et le sentiment spontané. Le conseil est excellent, et je suis persuadé pour ma part que, si notre art doit se renouveler, c’est là qu’il trouvera un rajeunissement; mais il est un point sur lequel je ne suis plus d’accord avec l’historien du lied, c’est lorsqu’il doute que notre poésie populaire ait le sang assez riche pour nourrir un art nouveau, et lorsqu’il engage les poètes à étudier surtout les chants populaires des nations voisines. Il me semble au contraire que c’est en s’assimilant les élémens tirés de notre propre fonds que nos poètes pourront se refaire un tempérament lyrique. Les poésies rustiques écloses dans nos provinces sont nombreuses et variées; elles ont le même charme que celles de nos voisins, les mêmes vertus et bien souvent la même origine. Les fleurs du bouquet