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dans Paris, il est à peu près certain qu’elle eût traversé sans efforts tous ces essais de barricades encore informes et faibles[1]. » Ceci était vrai le dimanche soir 21 et le lundi 22 ; le lendemain tout avait bien changé, et Paris comptait cinq cent quatre-vingt-deux barricades qu’il fallut enlever une à une, ce qui exigea assez de temps pour permettre les incendies et les massacres. Afin d’avoir la certitude d’éviter un échec qui aurait eu d’incalculables conséquences, on avança avec une prudence extrême, conformément à un plan longuement médité et de l’exécution duquel il ne fut plus possible de s’écarter au bout de vingt-quatre heures de combat.

Le nombre des détenus était tel au dépôt que l’on avait été obligé de les réunir non-seulement dans les cellules et les salles communes que le règlement leur attribue, mais qu’on les avait enfermés dans les salles communes des femmes. Celles-ci étaient parquées au premier étage, dans ce que l’on appelle l’annexe, section réservée où l’on place de préférence les jeunes filles que l’on veut isoler. Cette partie de la prison, composée de cellules précédées d’un assez large couloir, prenait jour alors sur une étroite cour où s’allongeait la galerie en bois qui joignait les services administratifs de la préfecture de police au cabinet du préfet. Une distance d’un mètre ne séparait pas ce fragile couloir en planches des fenêtres de l’annexe. Les malheureuses prisonnières ne se doutaient pas qu’à deux pas d’elles on prenait de minutieuses précautions pour brûler la prison où elles étaient incarcérées et tous les bâtimens qui l’entouraient. Le 22 mai, vers six heures du matin, un fédéré, faisant fonction de capitaine de place à la préfecture de police, avait visité les caves et les sous-sols de la préfecture ; ce citoyen peu scrupuleux, mais docile, exécutait les ordres qu’il avait reçus directement de Ferré. Il rechercha les endroits propices à recevoir les amas de munitions et les tonneaux de poudre destinés à faire sauter les bâtimens d’administration. Les emplacemens, choisis avec discernement, furent une partie des caves, le poste des officiers de paix situé à l’angle de la place Dauphine, près de la porte principale, le poste des brigades centrales établi à côté de la permanence, rue de Harlay-du-Palais. Le capitaine s’était fait guider dans cette excursion par un employé subalterne de la préfecture qui fut immédiatement arrêté et conduit au dépôt, car c’était là un témoin qu’il était bon de supprimer jusqu’à l’heure du dénoûment préparé. Ferré, s’il eût dirigé l’opération lui-même, n’aurait sans doute point eu tant de mansuétude et se serait contenté de faire fusiller l’individu dont il était urgent de s’assurer le silence au moins

  1. Bataille des sept jours, par Louis Jézierski, Paris 1871.