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choisi parmi les Vengeurs de Flourens, s’arrêta devant la cour du dépôt. Il était vêtu d’un léger paletot gris à collet de velours noir et tenait en main une badine dont il s’amusait à fouetter son pantalon. Il se tourna vers sa troupe et lui dit : « tous les sergens de ville, tous les gendarmes, tous les calotins doivent être fusillés sur place, je compte sur vous. » Deux des jeunes fédérés déclarèrent qu’ils voulaient bien se battre, mais qu’ils ne voulaient pas faire si laide besogne. Ferré les traita de lâches ; leurs camarades les appelèrent fainéans ; ils ne répondirent mot et se retirèrent. Suivi de ses hommes, Ferré entra au dépôt ; les fédérés restèrent dans le vestibule que l’on appelle le grand guichet. Ferré pénétra dans le greffe, envoya chercher le directeur, qui arriva, toujours muni de ses pistolets, et se fit communiquer le livre d’écrou ; il le parcourut, le feuilleta avec la lenteur ignorante d’un homme qui, pour la première fois, se trouve devant un registre dont il ignore les divisions et les points de repère ; puis, posant son doigt sur le nom de Veysset, il dit : Amenez ce détenu. Au bout de quelques minutes, Veysset fut amené par un surveillant. En voyant des hommes armés, en reconnaissant Ferré, il pâlit et devina le sort qui l’attendait. Il fit bonne contenance et dit : « Lorsque j’ai été arrêté, j’avais 20,000 francs sur moi, je désire savoir ce qu’ils sont devenus. — Ça ne vous regarde pas, répondit Ferré ; du reste, soyez sans inquiétude, nous allons régler tous nos comptes à la fois. » Les Vengeurs de Flourens entourèrent George Veysset, qui de l’œil fit un signe d’adieu à un surveillant. Celui-ci s’approcha de Ferré au moment où il allait franchir la porte et lui dit : « Mais vous n’allez pas fusiller cet homme ? — Et toi avec lui, si tu n’es pas content, » riposta Ferré. La troupe s’éloigna et se dirigea vers le Pont-Neuf ; arrivée au terre-plein, à côté de la statue d’Henri IV, elle fit halte. Ferré dit à George Veysset : « vous allez être fusillé ; avez-vous quelque chose à dire pour votre défense ? » Veysset leva les épaules. On le poussa vers la balustrade ; il dit simplement : « Je vous pardonne ma mort ! » Ferré commanda le feu : quatre hommes prirent le cadavre, le balancèrent un moment au-dessus du parapet et le jetèrent à la Seine. Ferré dit alors cette énormité : « Il méritait d’être frappé par la justice du peuple ; vous voyez, citoyens, nous faisons tout au grand jour ! »


IV. — LE SOUS-BRIGADIER PIERRE BRAQUOND.

On espérait, au dépôt, en être quitte avec Ferré, qui n’avait point reparu après l’assassinat de Veysset ; il comptait revenir, mais