Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 21.djvu/59

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une tournure grandiose et épique. On la croirait détachée d’une chanson de geste :

Le roi Renaud de la guerre revint,
Ses entrailles portait dans ses mains.

Sa mère l’aperçoit venir,
Elle en a le cœur réjoui.
— Mon fils Renaud, réjouis-toi,
Ta femme est accouchée d’un roi.


Mais le roi Renaud n’a plus le cœur à se réjouir, il se fait dresser « un blanc lit » et il y meurt en recommandant que l’accouchée n’en sache rien. Pendant ce temps, dans sa chambre, la jeune reine entend le bruit des apprêts funèbres et s’inquiète. La mère s’efforce de mentir pour la rassurer, mais elle est vite à bout de mensonges :

Quand commencent les litanies et chants,
Les patureaux s’en vont disant :

« Voilà la femme de ce grand roi
Qu’on enterra hier au soir. »

— Dites-moi, ma mère, ma mie.
Qu’est-ce que ces patureaux ont dit?

— Ma fille, je ne puis le cacher.
Le roi Renaud est décédé.


L’épouse alors s’en va dans l’église, où est le tombeau de son mari, et elle a un cri qui cette fois doit réjouir le mort dans son cercueil :

— Tenez, ma mère, voici les clés
De toutes mes villes et cités.

Prenez mes bagues et joyaux.
Ayez soin de mon fils Renaud,
Je veux mourir sur ce tombeau.


Pour montrer combien est variée et riche cette mine des chansons populaires, je veux citer encore une sorte de féerie dont la fantaisie eût été digne d’inspirer le Plongeur de Schiller ou la Lorelei de Heine. C’est la ballade poitevine des Clés d’or. Un amoureux croit entendre son amie pleurer au sommet d’un rocher qui surplombe au-dessus de la mer; il accourt et questionne la jeune fille éplorée :

— Oh ! qu’avez-vous la belle,
Qu’avez-vous à pleurer?
— Les clés d’or de mon père
Dans la mer sont tombées...