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qu’il expose cette année, est une jeune femme brune, ni jolie ni laide, mais d’une suprême élégance de tournure. Elle regarde de la plage l’horizon infini de la mer. Une longue robe de drap noir moule les formes de son corps comme le ferait un vêtement d’amazone, et sa fière st svelte silhouette se découpe sur le ciel nuageux. À ses pieds, la Manche roule ses vagues verdâtres que ne bleuit pas le soleil absent. Quelle est la plus « ondoyante et diverse, » comme dirait Montaigne, de cette femme ou de cette mer, quelle est celle des deux qui couve le plus de tempêtes ? c’est la première idée que ce tableau fasse tout d’abord venir à l’esprit. La touche est large, le dessin précis, la couleur vigoureuse. L’impression très vive se grave dans la pensée. On objectera qu’avec une silhouette de femme se détachant en vigueur sur l’horizon marin, un peintre est toujours certain de trouver l’effet. Qu’on regarde donc deux figures de femmes de grandeur naturelle, debout au bord de la mer, exposées cette année, le Portrait de Madame D…, par M. Duez, et la paysanne suédoise de l’Attente, de M. Hagborg, et on se convaincra que cet effet simple et grand n’est pas à la portée de chacun. Le seul reproche qu’on puisse faire au tableau de M. Feyen-Perrin est de rappeler un peu le beau dessin de Puvis de Chavannes, popularisé par la gravure : la ville de Paris investie, La Parisienne à Cancale est encore une œuvre de style, si on veut bien admettre que le style ne se trouve pas exclusivement dans les saint Sébastien percés de flèches et dans les saint Étienne lapidés.

Voilà tout justement ce qui abuse le jury, ce qui trompe les artistes, ce qui égare le public. Il ne suffit pas, pour faire de la grande peinture, de peindre sur une grande toile. Parce qu’on copie un modèle d’homme ou de femme, qu’on lui ceint la tête d’un nimbe d’or ou qu’on lui met à la main un arc d’ivoire, et qu’on intitule cette composition Saint Paul ou Diane chasseresse, il ne faut pas s’imaginer qu’on ait fait une œuvre de style. Nous avons l’admiration passionnée de l’art antique et un respect profond pour ses traditions ; et nous avons cependant commencé notre revue du Salon par trois tableaux dont les figures sont empruntées à la vie moderne. C’est que nous cherchons avant tout les œuvres de style et que nous les prenons sans parti-pris où elles se trouvent. Quand nous demandons que l’état encourage la grande peinture, nous n’entendons pas que seuls les héros de la fable et les figures de l’Évangile appartiennent au grand art. Le style, qu’on s’obstine à voir un, est multiple. La Vénus de Milo a le style, le David de Donatello a le style, la Pieta de Michel-Ange a le style, la Source de Jean Goujon a le style. Chacun peut avoir ses préférences pour les apôtres de Masaccio ou pour les Vierges de Raphaël, mais qui oserait dire que les infantes de Velasquez et les bourgeois de