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d’un joli galbe qui n’a d’ailleurs rien d’antique. Avec ses deux enfans aux seins et son air d’ineffable douceur, elle rappelle la Charité d’André del Sarto. Ce n’est pas la déesse irritée qui va métamorphoser en grenouilles ces paysans imbéciles et méchans.

M. Hector Leroux est, après M. Gérôme et avec M. Lecomte Du Nouy, le plus savant évocateur de l’antiquité païenne. Il expose cette année un grand tableau avec figures de demi-nature, dont le sujet est poétique entre tous : les Danaîde. Un chemin creux bordé de roches argileuses s’allonge dans la perspective jusqu’aux rives de l’Achéron dont les eaux livides baignent le pied d’une chaîne de collines volcaniques. A gauche de ce chemin, des jeunes filles vêtues de tuniques blanches s’avancent l’une derrière l’autre, portant sur la tête une amphore de terre rouge. Elles se dirigent lentement, leur beau visage empreint de la tristesse résignée et de la gravité passive des bêtes de somme, vers un puits de granit qui ouvre au premier plan sa gueule béante. Une Danaïde qui est arrivée près du puits fatal y verse le contenu de son amphore, tandis que sa compagne, dont l’amphore vient d’être vidée, se penche sur la margelle pour voir si ces quelques gouttes ont fait monter le niveau de l’eau. A droite du chemin, une autre file de Danaïdes s’éloigne dans la direction du fleuve où elles vont de nouveau remplir leurs amphores. Cette ingénieuse composition mérite tous les éloges. Ces deux longues lignes de blanches canéphores qui s’avancent et s’éloignent dans la perspective sont d’un très bel effet. Mais pourquoi les trois figures principales groupées au premier plan n’ont-elles ni dans leur attitude ni dans leur physionomie le caractère antique que M. Leroux a réussi à donner à un si haut degré aux autres filles de Danaüs ? Celle qui verse l’amphore prend un mouvement de danseuse ; celle qui regarde dans le puits est toute souriante ; la troisième a le minois chiffonné d’une tête de Greuze. La couleur grise et blanche du tableau est d’une atonie excessive. Il est juste de dire que les Danaïdes étant des ombres, M. Leroux n’a pas voulu les peindre dans le relief et dans la couleur de la vie. Mais dans son autre tableau, la Vestale Clodia Quinta, qui, injustement accusée d’impudicité, prouve son innocence en faisant seule entrer dans le Tibre le bateau de la mère des dieux, il s’agit d’une femme en chair et en os. Or M. Leroux lui donne la même tonalité éteinte et la même silhouette vaporeuse. C’est une ombre de femme qui remorque une ombre de bateau vers une ombre de port. C’est une ombre de tableau.

La Vénus passant devant le char du soleil, de M. Machard, aurait pu s’épargner cette petite promenade à travers l’empyrée. Comment un peintre sérieux, un prix de Rome, a-t-il pu imaginer un pareil