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se communique à la longue chevelure d’or pâli qui flotte sur son corps nu, comme agitée par le plus impétueux des vents d’orage. Le torse de l’Adonis est bien peint, et la silhouette svelte de la Vénus est très élégante. Il y a des duretés dans le contour et dans les modelés, mais il vaut mieux débuter par des duretés que par des rondeurs. La ligne dure s’assouplira, tandis que la rondeur ne prendrait jamais la fermeté et la précision. Le raccourci du bras qui écarte les branches de myrte est manqué. Que M. Dubufe s’efforce aussi de tenir plus de compte des demi-teintes. Toute la figure de la femme est peinte avec deux tons, l’un pour la lumière, l’autre pour l’ombre. De là résulte la couleur de vieille tapisserie de ce tableau, couleur qui est d’ailleurs fort agréable. Ces réserves faites, nous applaudissons au beau début de M. Dubufe.

La Fortune, de M. Horace de Callias, appartient moins à la mythologie qu’à l’allégorie. Le décor est une ravine encaissée entre des rocs presque à pic. Soutenue dans le vide par ses grandes ailes diaprées, la Fortune passe au milieu du précipice, tenant dans sa main droite levée une corne d’abondance d’où tombe une pluie de pièces d’or. A droite, se retenant de ses mains meurtries et de ses pieds saignans aux aspérités du roc, un homme est parvenu à monter jusqu’à mi-côte. D’un geste désespéré, il tente d’arrêter la Fortune. A peine s’il peut saisir au passage un lambeau de la gaze transparente qui flotte autour de son corps nu comme une nuée d’azur et de pourpre. L’homme est dessiné d’un contour un peu sec et peint d’un ton de brique. Mais il est bien difficile de peindre un homme nu ; si on l’accuse dans la grâce, on l’effémine, dans la force, on l’alourdit, dans la maigreur nerveuse, on l’efflanque. La figure de la femme, qui forme une jolie ligne serpentine, s’enlève très légèrement avec la grâce aérienne d’une danseuse de Pompéi. La flexion du torse, faiblement renversé sur la hanche droite, est charmante. La pâte a de la souplesse et de la fermeté.

M. Louis Collin a mis en scène un épisode du roman de Longus. Assis au fond d’un bois, sur un roc moussu, Daphnis, les reins ceints d’une peau de brebis, apprend à Chloé, en attendant mieux, à jouer de la double flûte. La jeune fille, entièrement nue, est appuyée contre le rocher, tout près du chevrier. Ces deux corps d’éphèbes, rapprochés l’un de l’autre et opposant dans une douce harmonie les tons bruns et hâlés de la chair de l’homme et les blanches carnations de la femme, se groupent heureusement et ont un aspect pudique et charmant. La physionomie de Chloé a une jolie expression de naïveté et de candeur ; toutefois des joues trop grasses rendent cette tête un peu commune. M. Collin a un pinceau très chargé en pâte, mais son dessin, souple et élégant, n’est pas exempt d’incorrections. Les pieds sont mous, sans contexture musculaire.