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de ceux d’à présent des opinions plus indulgentes. Ajoutons que le sang hellénique ne se retrouve nulle part ailleurs aussi pur de tout alliage étranger, car la Crète a été préservée en partie, par sa situation insulaire, de l’invasion des barbares et du mélange de sang slave qui coule aujourd’hui dans les veines de la plupart des Grecs du continent et des lies. Après la conquête romaine, les Crétois, toujours habiles à combattre de loin, fournirent des contingens d’archers aux légions. Enlevée au bas-empire par les Arabes en 823, l’île lui revint en 962. Le marquis de Montferrat, puis les Vénitiens, la reçurent en 1204 comme leur part de dépouilles ; elle resta vénitienne jusqu’en 1669. Les Turcs, depuis lors, n’ont cessé de la posséder que pendant l’occupation égyptienne de 1833-1841.

La population est évaluée, d’une façon il est vrai assez incertaine, à un peu plus de 200,000 habitans, dont deux tiers de chrétiens et un tiers de musulmans. Quelles que soient du reste leur croyance et la violence des haines qui les divisent aujourd’hui, on peut dire que l’origine de tous est également hellénique. A peine les envahisseurs ottomans sont-ils représentés par quelques familles de Candie qui descendent authentiquement des colons Turcs établis dans le pays après la victoire. Les autres sont fils des renégats qu’avait convertis en masse le sabre des conquérans. Comme il est habituel en Orient, ces héritiers des néophytes de l’islam sont de tous les musulmans les plus animés contre les coreligionnaires de leurs ancêtres. Ils n’en ont pas moins, par suite d’une anomalie unique, conservé l’usage du dialecte hellénique, dérivé du dorien, partout employé en Crète ; l’immense majorité d’entre eux ignore le Turc.

Le paysan crétois vit presque exclusivement du produit par excellence de sa terre natale, l’huile. L’olivier a cette qualité commune avec les arbres de l’Eden biblique, qu’il donne son fruit sans exiger le travail de l’homme. Ce présent de la nature a son danger ; il encourage la paresse de la population rurale en lui permettant de vivre dans une sorte de bien-être incomplet et de loisir plus funeste peut-être que les épreuves d’une existence difficile. Le paysan ne prend pas la peine de recueillir les fruits de ses oliviers, c’est là une fonction dévolue aux femmes ; pendant les six semaines au moins que dure la récolte, elles travaillent dans les champs du matin au soir ; la journée des hommes se passe dans l’oisiveté du café que l’on trouve à chaque village.

Ce n’est pas à dire pour cela qu’en cas de nécessité le Crétois ne soit pas capable d’un effort ; mais son esprit traditionnel de routine est opposé à tout progrès. L’incertitude des événemens est pour la plupart des petits propriétaires un prétexte de n’ensemencer chaque année qu’en vue des strictes nécessités de sa famille. D’ailleurs,