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leur tactique consiste à se dérober. En 1866, ces étranges coutumes désespéraient, paraît-il, les volontaires européens, qui comprenaient l’inutilité de leurs éternelles et inoffensives escarmouches.

Or ces montagnards, à force de guerroyer ainsi, sont aujourd’hui considérablement réduits en nombre. Dans les plaines au contraire, le Crétois est pacifique ; il attend en savourant son raki que l’olive mûrisse, et se chagrine à la pensée de voir la guerre compromettre la récolte et la fabrication de son huile. C’est à tort qu’on se figure en Europe que l’île entière est peuplée dans toutes ses parties de pallikares qui ne soupirent qu’après l’insurrection. En premier lieu, il faut remarquer que, dans la longue histoire de la servitude et des séditions Crétoises, une moitié de la Crète, toute sa partie orientale, de Candie au cap Sidhero, n’a jamais joué de rôle ; même dans la dernière insurrection, les paysans de cette région ne sont pas sortis de leur apathie. C’est là un fait assez inexplicable, mais qui a été constaté d’une façon continue à chaque révolte. Dans l’occident de l’île au contraire, les insurgés combattant contre la domination ottomane sont sûrs de trouver chez chaque paysan grec, si attaché qu’il soit à ses intérêts matériels, des sympathies ardentes et un concours zélé.

Au-dessus de la classe populaire dont on vient de décrire les deux « variétés, » il y a un certain nombre de propriétaires ruraux qui possèdent des étendues plus ou moins importantes de terres à blé ou de plantations d’oliviers ; ce ne sont guère que des paysans plus riches que les autres, et ils n’ont rien du seigneur féodal. De nombreux domaines sont d’autre part entre les mains des beys ou notables héréditaires qui ne vivent pas avec les villageois et qui habitent les villes.

Dans les villes, les Turcs, au contraire de ce qui a été signalé pour les campagnes, l’emportent par le nombre sur les orthodoxes. A La Canée par exemple, on estime qu’il y a 9,000 musulmans contre 4,000 chrétiens. Les beys y forment une sorte d’aristocratie sans privilèges politiques, fondée sur l’influence que donne la possession de la terre. Quelques-uns d’entre eux méritent l’estime générale ; or il se trouve que ce sont précisément ceux qui observent le plus fidèlement la loi islamique. Il est certain que, bien interprétés et dégagés des commentaires que leur imposent l’ignorance, le fanatisme et la mauvaise foi, les principes de l’islam ne peuvent que contribuer à l’élévation morale de ceux qui en font la règle de leur vie. Le plus grand nombre, victimes de la défectueuse éducation que reçoivent les jeunes Turcs et de l’ennui d’une existence inoccupée, passent leur jeunesse dans des distractions d’une nature peu relevée et leur âge mûr dans le souci de réparer les brèches de leur fortune. Ils jouent auprès du gouverneur-général le rôle qu’on a