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emprisonnait dans des limites trop étroites, qu’ils ne pouvaient délibérer utilement s’ils se bornaient à l’examen des questions d’intérêt local, que l’intérêt local lui-même était subordonné à des réformes de la constitution crétoise, réformes dont ils entendaient qu’on les autorisât à discuter le projet. Le gouverneur-général déclarant qu’il devait en référer à Constantinople, les députés se refusèrent à siéger jusqu’à l’arrivée de la réponse de la Porte. Ils étaient encore en grève quand vint la lettre du grand-vizir. Nul ne sait s’il a voulu donner une leçon à des raïas dont les prétentions lui semblaient déplacées, et si la forme ironique de cette communication officielle était volontaire ou fortuite ; toujours est-il qu’après des préambules dont les longues périodes exposaient les motifs des décisions impériales qui allaient être notifiées, une longue énumération des bienfaits passés de sa majesté conduisait à rémunération des bienfaits à venir. Dans le nombre, on comptait des promesses de tracer des routes, de jeter des ponts, de creuser des ports, de bâtir des écoles ; puis, vers la fin, toute tentative de changer l’acte organique était durement désapprouvée, et, sans aucune discussion des argumens de l’adresse, les conclusions en étaient rejetées.

Il ne manqua pas de prophètes pour annoncer l’insurrection certaine comme conséquence de cette fin de non-recevoir ; mais les prophètes se trompèrent. Les députés chrétiens refusèrent, il est vrai, de continuer à siéger, et retournèrent chez eux sans avoir nommé les membres des tribunaux supérieurs dont l’acte organique leur confie l’élection ; cependant le pays n’en est pas moins resté jusqu’à ce moment parfaitement tranquille.

Le récit de cet incident peut donner une idée des désaccords habituels entre le gouvernement et les mandataires des chrétiens. Il convient aussi de rappeler que les membres chrétiens des conseils de district, qui devaient désigner les deux députés crétois, musulman et orthodoxe, au parlement de Constantinople, se sont refusés à voter. Ils ont donné pour motif de leur abstention qu’étant régis par l’acte organique, la constitution de l’empire ne pouvait être mise en vigueur parmi eux. On objecte à cet argument qu’il n’y a rien de commun entre un acte qui règle le régime intérieur d’une province au point de vue administratif et une constitution politique votée pour tout l’empire ; de plus l’acte lui-même, sur lequel s’appuient les réclamations des Crétois, déclare expressément que la Crète reste régie par le droit commun de la Turquie, sauf les privilèges provinciaux mentionnés au firman, et la constitution ne touche pas à ces privilèges.

L’application de l’acte organique a eu pour conséquence de démontrer que les Grecs de Crète eux-mêmes, auxquels il assure des droits accordés pour la première fois par la Porte à des raïas,