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depuis toutes les matrones âgées reçurent cet honneur. Le grand novateur, Jules César, innova sur ce point en célébrant, le premier, une jeune femme, son épouse Cornélie, ce qui lui valut l’amour du peuple « comme homme débonnaire et de nature cordiale. » Ainsi peu à peu l’usage devint général, et les grandes familles purent, sans distinction de sexe ni d’âge, honorer d’un discours public leurs membres défunts.

L’éloge des femmes devait être aussi simple que l’était leur vie. Bien que la matrone romaine fût plus libre que la femme athénienne, qu’elle ne fût pas enfermée dans un gynécée et qu’elle eût le droit de paraître dans les compagnies, son vrai mérite et sa gloire étaient de passer pour une bonne et exacte maîtresse de maison, de présider au travail de ses servantes, de travailler elle-même de ses mains. Dans un temple, celui du dieu Sancus, se trouvait une statue en bronze, image de Caia Cœcilia, femme de Tarquin l’Ancien, et à côté d’elle ses sandales et ses fuseaux précieusement conservés, comme symboles de son assiduité à la maison et de son travail journalier. Cette statue, qu’on voyait encore au temps de Plutarque, représentait l’idéal proposé aux dames romaines. C’est aussi de cette façon que nous apparaissent dans l’histoire les dames dont on veut nous donner une noble idée. La sœur d’Horace est en train d’achever un vêtement pour son fiancé Curiace ; la chaste Lucrèce inspire au jeune Tarquin un amour furieux, étant vue tard dans la nuit au milieu de ses servantes avec sa quenouille, en matrone accomplie. Même dans les temps de décadence et de corruption, l’idéal subsiste, et le maître du monde, Auguste, se pique encore de ne porter que des vêtements filés par sa femme ou sa sœur, ou même par ses filles, qui pourtant, s’il en faut croire la chronique légère de Rome, étaient loin de passer tout leur temps à filer.

En lisant les nombreuses inscriptions recueillies sur les tombeaux des femmes, on peut se figurer quelles vertus on aimait en elles, et par suite quel devait être le ton de leur éloge funèbre : « Elle fut très bonne, très belle, pieuse, pudique, soumise. » On ajoutait : « Elle garda la maison, domiseda, elle fila la laine, lanifica. » Ce dernier mot était pour les Romains si caractéristique qu’il finit par exprimer non plus un travail, mais une vertu, et par prendre un sens purement moral, comme on le voit par les mots qui l’entourent. Rien ne fait mieux comprendre ces sortes d’éloges qu’une épitaphe qui doit être fort ancienne, à en juger par la langue et l’orthographe, et qui est un chef-d’œuvre de simplicité décente. C’est la pierre du tombeau qui parle : « Passant, bref est mon discours, arrête et lis. C’est ici le tombeau d’une belle femme. Ses-parens l’appelèrent Claudia. Elle aima son mari de tout son amour :