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faisaient partie du cortège, mais non pas, comme on croit souvent, portés sur des piques ou des javelines. Non, la figure de cire pouvait, grâce à un mécanisme commode, se détacher du buste même et, comme nos masques, s’appliquer sur un visage vivant. Des acteurs chargés de représenter chaque personnage s’affublaient avec noblesse de cette figure empruntée. De plus, chacun de ces acteurs devait imiter la démarche et les gestes traditionnellement connus du grand homme dont il jouait le rôle. C’était comme une sublime mascarade dont personne n’était tenté de sourire, et qui produisait, au moins sur ceux qui la voyaient pour la première fois, une extraordinaire impression. Tous ces acteurs portant chacun le costume qui convenait à la dignité de l’antique héros dont il était l’image, la robe de pourpre, si celui-ci avait été consul, la robe d’or s’il avait été un triomphateur, montaient chacun sur un char au milieu du plus magnifique appareil. Les consuls en effigie étaient précédés de leurs licteurs avec les faisceaux renversés, le triomphateur voyait devant lui la file des chars qui portaient aussi l’image du butin fait jadis sur les ennemis par lui vaincus. Il y eut six cents chars aux funérailles de Marcellus, à celles de Sylla six mille. Enfin venait, étendu sur un lit de parade, porté sur les épaules de ses fils ou de ses parens, le défunt couvert de ses vêtemens d’apparat, et, s’il était dans un cercueil fermé, au-dessus se trouvait son image en cire. Ici commence la scène oratoire qui nous occupe. Ce long cortège une fois arrivé au Forum, ou plaçait le mort contre la tribune aux harangues, quelquefois couché, le plus souvent debout ; les ancêtres, ces morts vivans, descendaient de leurs chars et allaient s’asseoir sur des chaises d’ivoire rangées en demi-cercle au pied de la tribune. Alors l’orateur, qui était un fils, un frère ou un parent du défunt, prononçait son discours devant ce sénat d’aïeux en présence desquels il semblait qu’il ne fût point permis de mentir. On comprend dès lors de quel noble intérêt pouvait être un pareil discours, si inculte qu’il fût, déclamé par un orateur ému de son propre deuil, qui, dans la revue des gloires de sa famille, promenait la main sur toutes ces têtes héroïques, les désignant du geste l’une après l’autre. La simple énumération des titres prenait une majesté pathétique quand on avait ainsi sous les yeux le héros qui les avait mérités. Combien aussi la vue de ce mort debout pouvait émouvoir, on le vit bien aux funérailles de Jules César, quand tout à coup son effigie, mue par un ressort caché, se mit à tourner lentement, montrant de tous côtés les vingt-trois coups de poignard et les blessures saignantes du grand homme. Le peuple, à cette vue, emporté par une pitié furieuse, courut aussitôt mettre le feu au palais où César avait reçu la mort.