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nouvelle de louer, de motiver ses éloges et d’y ajouter un éloge nouveau ; mais la logique ne gouverne pas les hommes comme elle fait les idées, au contraire, c’est plaisir pour l’imagination que de mettre en défaut les plus solides raisonnemens du monde, et voilà pourquoi les trois nouvelles ou les Trois Contes que vient de publier M. Flaubert : un Cœur simple, Hérodias, la Légende de saint Julien l’Hospitalier, sont certainement ce qu’il avait encore donné de plus faible.

Ce n’est pas, à la vérité, parce que le cadre est plus étroit : avouons cependant qu’il y a quelque surprise, dont on se défend mal, à voir un écrivain qui finit par où les autres commencent, ayant jadis commencé par où les autres finissent. Mais enfin ni le temps ni les dimensions ne font rien à l’affaire. Que M. Flaubert autrefois n’ait pas consacré moins de six ans à préparer Salammbô » certes, c’était une querelle d’Allemand, s’il en fut, que de lui tourner ce scrupule de perfection en reproche, et nous ne serions guère moins ridicule que jadis M. Fröhner, si nous nous étonnions par exemple qu’Hérodias ne remplit pas autant de pages que Salammbô. Sans doute il n’eût tenu qu’à l’auteur d’étendre les proportions de ses nouvelles ou de ses contes jusqu’au cadre du roman, et c’est un talent si rare de nos jours, une ambition si peu commune de vouloir et de savoir faire court qu’il faudrait plutôt remercier M. Flaubert, chef d’école, pour l’exemple et la leçon qu’il donne. Il suffit que, dans le temps où nous sommes, la sobriété ait cessé d’être une vertu littéraire ; n’allons pas en faire un défaut, — et souvenons-nous que. « c’est l’effet d’un art consommé de réduire en petit tout un grand ouvrage. »

Ce n’est pas non plus que les qualités ordinaires de M. Flaubert soient moindres dans ces trois contes, ou ses défauts accoutumés plus choquans. Peut-être toutefois, comme on dirait que dans ces récits de courte haleine M. Flaubert se fût interdit résolument de mettre un soupçon d’intérêt dramatique ou romanesque, défauts et qualités tranchent-ils avec plus de vigueur ; mais en somme il entre dans le talent de M. Flaubert trop de volonté, trop de parti-pris et d’artifice pour qu’il se rencontre dans ses œuvres de ces brusques inégalités, de ces hauts où n’atteignent et de ces bas où ne tombent que les esprits mobiles, plus capables « d’être agis » que d’agir, et de recevoir l’impression des choses que d’imposer aux choses leur façon de les voir. On retrouvera donc dans un Cœur simple ce même accent d’irritation sourde contre la bêtise humaine et les vertus bourgeoises ; ce même et profond mépris du romancier pour ses personnages et pour l’homme ; cette même dérision, cette même rudesse et cette même brutalité comique dont les boutades soulèvent parfois un rire plus triste que les larmes, — comme dans Hérodias on retrouvera cet étalage d’érudition, ce déploiement de magnificence orientale ; ces couleurs aveuglantes, ces lourds parfums asiatiques