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qu’en les commettant on ait soin d’épurer ses intentions. Il y a quelques années, dans le feu d’une controverse qui passionna nos voisins d’outre-Manche, on entendit des évêques anglicans déclarer que la prospérité du royaume-uni dépendait de son fidèle attachement au credo d’Athanase ; ils assuraient, comme le tenant de la meilleure source, que tout irait bien, si l’état obligeait ses prêtres à menacer des peines éternelles quiconque se permettait d’argumenter contre le mystère de la sainte trinité ; ils affirmaient avec la même confiance que, si l’état se montrait coulant sur les points de doctrine et laissait se propager dans les veines du corps social le mortel virus de l’arianisme, c’en était fait de la Grande-Bretagne, de son commerce, de ses colonies et des consolidés.

M. Spencer, qui est un penseur sérieux, a l’habitude de faire le tour des questions qu’il étudie. Après avoir fait leur procès aux préjugés théologiques, il a signalé les inconvéniens d’un préjugé tout contraire qu’il appelle le préjugé antithéologique. Beaucoup de bons esprits, qui n’aiment guère la théologie et ne se défient pas assez de leurs illusions, s’imaginent volontiers que la religion n’est plus aujourd’hui qu’une affaire de conscience ou de cœur ou d’habitude, et en quelque sorte une occupation purement domestique, mais que dans ce siècle de critique et de lumières les dogmes ne peuvent plus exercer aucun empire sur les combinaisons des hommes d’état ou sur le gouvernement des sociétés. Le XVIIIe siècle a été le siècle des grandes idées, des grandes réformes, des grandes espérances et des généreuses illusions ; il rêvait pour le genre humain l’avènement d’un âge d’or, le règne universel de la tolérance et de la raison. C’est à son école que se sont instruits les libéraux de notre temps, et sur la foi de leurs maîtres ils se flattaient que dorénavant les controverses, les querelles dogmatiques ne dérangeraient plus le ménage des peuples, qu’il n’y aurait plus de croisades ni de conflits religieux, que les diverses confessions s’appliqueraient, chacune à sa manière, à édifier les âmes, et s’abstiendraient soigneusement de troubler les états, que les consciences se contenteraient de revendiquer leurs droits en renonçant au triste avantage de s’opprimer les unes les autres. Que les.libéraux sont loin de compte, et quel cruel démenti donnent à leurs pronostics les événemens qui se passent ! Voltaire n’était pas optimiste comme son siècle ; le 14 août 1776, il écrivait à Diderot : « La saine philosophie gagne du terrain depuis Arckangel jusqu’à Cadix ; mais nos ennemis ont toujours pour eux la rosée du ciel, la graisse de la terre, la mitre, le coffre-fort, le glaive et la canaille. Tout ce que nous avons pu faire s’est borné à faire dire, dans toute l’Europe, aux honnêtes gens que nous avons raison, et peut-être à rendre les mœurs plus douces. »

Oui, les mœurs sont devenues plus douces, mais le fanatisme est encore de ce monde, et rien n’est plus déraisonnable que de croire au règne universel de la raison. Il était écrit au livre des destins que,