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circonstances devaient lui imposer. M. Jules Simon n’y a peut-être pas mis toute l’habileté possible ; mais, sauf au début, où on lui a épargné le péril d’un conflit avec le sénat, on ne lui a sûrement pas facilité sa tâche. Que parle-t-on aujourd’hui de concours de la majorité, de votes qui n’ont pas été refusés ? Est-ce que M. Gambetta se préoccupait de soutenir le président du conseil lorsqu’il le traitait avec une si singulière hauteur dans la discussion sur les « menées ultramontaines, » lorsqu’il lui reprochait la mesure de son langage, l’oubli de son passé et de ses idées libérales, lorsqu’il semblait se moquer des marques de respect du ministre pour les choses religieuses ? Est-ce qu’on fortifiait le chef du cabinet en le plaçant entre sa modération de la veille et la nécessité de subir, pour éviter un échec, un ordre du jour qui devait être un embarras ? est-ce que dans cette dernière affaire de la loi de la presse, au lieu d’aller étourdiment se jeter sur un écueil, on n’aurait pas dû comprendre ce qu’il y avait de délicat à paraître émousser la répression en matière d’injures contre les souverains étrangers ? Est-ce qu’un président du conseil garde toute son autorité au milieu des complications intimes qui peuvent l’assaillir, lorsqu’on le sait obligé de compter chaque jour, incessamment, avec M. Gambetta ou avec tout autre chef de groupe, lorsqu’on le voit réduit à louvoyer, à éluder une discussion, à laisser passer dans la chambre des députés des choses qu’il se réserve de faire échouer ou d’abandonner dans le sénat ? Il est tout simplement exposé à ce qu’on lui demande un jour ou l’autre « s’il a conservé sur la chambre toute l’influence nécessaire pour faire prévaloir ses vues, » et ce jour-là les meneurs d’une majorité incohérente sont exposés eux-mêmes à être pris dans leurs propres pièges.

La vérité est que les partis se croient tout permis pour satisfaire leurs passions ou leurs fantaisies, et que ce qui leur manque le plus, c’est le sentiment de la responsabilité. Ils se font un jeu d’affaiblir des ministères, même quand ces ministères représentent leurs opinions. Ils laissent à M. Dufaure le temps de franchir son étape, ils ne lui accordent pas un jour de plus. Il y a d’habiles diplomates républicains qui ne cachaient pas qu’ils entendaient se servir de M. Jules Simon pour les élections des conseils généraux et des conseils municipaux, — en se réservant une session supplémentaire pour le renverser. Les partis se figurent qu’ils peuvent impunément commettre toutes les fautes, et puis voilà ce qui arrive : l’événement trompe tous les calculs, un ministère tombe, une révolution de pouvoir s’accomplit, et on proteste. Le mal n’est pas moins fait. Eh bien ! soit, nous en convenons, il y a eu depuis un an des méprises nombreuses dont le cabinet de M. Jules Simon a été la victime. La majorité de la chambre, par inexpérience, par entraînement ou faute de direction, ne s’est pas montrée à la hauteur de son rôle de parti de gouvernement dans l’intérêt de la seule république possible, d’une