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dignité même des fonctions dont il recueillait l’héritage, n’ait pas cru devoir intervenir dès le premier moment pour atténuer ce qu’il y avait eu de par trop militaire dans cet éclat. La franchise, de M. le président de la république s’y serait prêtée sans nul doute, et M. le duc de Broglie se serait fait honneur ; il aurait peut-être adouci ou simplifié une situation où M. le président de la république a eu un peu trop l’air d’un homme qui retrouve sa liberté, qui éprouve un certain plaisir à pouvoir dire avec de nouveaux ministres : Ma politique, mon gouvernement, etc. Tout cela, qu’on y prenne garde, n’est pas sans gravité. Il en résulte une complication qu’on n’avait peut-être pas prévue, qui se mêle désormais à toutes les autres complications. Jusqu’ici, par une sorte d’accord universellement accepté, M. le maréchal de Mac-Mahon restait au-dessus de tous les débats et de toutes les luttes de partis ; il était peut-être le chef de gouvernement le plus respecté, le plus incontesté qu’il y ait eu en France. Maintenant il s’est jeté de lui-même dans la lutte avec ses couleurs, avec un drapeau de gouvernement personnel qu’on ne sait trop comment définir au milieu de tous les drapeaux qu’on promène devant nos yeux. C’est là un premier danger de cet acte du 16 mai, et le ministère nouveau, par la manière dont il s’est constitué, par la nature de ses alliances, par la fatalité de ses engagemens et de ses entraînemens, n’est peut-être pas fait pour atténuer ce danger. C’est la lutte avec ses conséquences qui de toute façon, dans tous les cas, peuvent dépasser singulièrement la volonté même des auteurs de la journée du 16 mai.

Le nouveau ministère ne peut s’y tromper : M. le duc de Broglie est assurément un esprit éminent et délié, M. de Fourtou peut être un homme habile et résolu ; ni l’un ni l’autre ne peuvent changer les conditions dans lesquelles ils ont accepté le pouvoir. Ils sont pris dans une crise à laquelle ils se sont associés, qu’ils ont appelée favorisée, et dont le dénoûment appartient à l’imprévu. Si parfaitement légale que soit d’une certaine manière son origine, le ministère n’est pas moins né dans des conditions irrégulières, en dehors de toutes les règles parlementaires, ayant dès ce moment la certitude d’une majorité absolument hostile dans la chambre des députés et ne sachant pas même s’il trouvera d’un autre côté, dans le sénat, une petite majorité pour le suivre jusqu’au bout de ses desseins. Voilà la situation créée par l’acte du 16 mai ! Et sur quoi peut s’appuyer le ministère pour sortir de là, pour vaincre les difficultés de toute sorte qui se dressent devant lui ? toute sa force est dans une coalition artificielle, violente, discordante, qui est elle-même un péril. Il s’agit de faire vivre ensemble légitimistes, bonapartistes, cléricaux, constitutionnels peu difficiles, en obtenant le vote des uns et des autres, sans leur demander, bien entendu, d’abdiquer leurs espérances et leurs ambitions. M. Thiers disait