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pour que les orthodoxes, pour que les chrétiens ne soient point victimes des répugnances militaires et de la désertion des musulmans ou des juifs. En établissant une sorte de solidarité entre les différens membres de chaque confession, le décret de 1876 intéresse la communauté elle-même à l’exécution de la loi et à la régularité du recrutement. Ce sont, semble-t-il, les israélites plus encore que les musulmans qui ont amené le gouvernement à cette défiante mesure. On connaît l’ordinaire aversion des fils de Juda pour le métier des armes ; en Russie, ce sentiment est d’autant plus vif que les juifs sont plus nombreux, moins mêlés au reste de la population, plus attachés à la lettre de la loi mosaïque. Il n’est aucun effort, aucune ruse, aucune fraude dont un juif polonais ne soit capable pour échapper à la conscription. En 1876, sur une classe de près de 700,000 hommes, il y a eu dans toute la Russie 18,000 jeunes gens à ne pas répondre à l’appel ; sur ce nombre, près d’un tiers, près de 6,000 (5,875) étaient israélites. De tels faits expliquent l’obligation récemment imposée à chaque culte de combler les vides laissés par ses adhérens.

La variété des races et des religions de l’empire doit naturellement donner à l’armée russe moins d’unité, moins de cohésion qu’à beaucoup d’autres armées européennes, qu’à l’armée française en particulier. C’est là un fait incontestable ; près d’un quart des soldats rangés sous les aigles russes ne se donnent point à eux-mêmes le nom de Russes. Il ne faudrait pas croire pour cela que les armées du tsar fussent un amas confus et hétérogène de peuples divers, sans autre lien que les chaînes de fer de la discipline. La Russie à cet égard diffère entièrement de l’Autriche-Hongrie. Dans l’armée comme dans l’état, le groupe russe orthodoxe forme une masse assez compacte, assez puissante pour se subordonner tous les élémens secondaires et imprimer à l’ensemble un caractère d’unité et de cohésion. L’armée russe est une armée nationale. Il est des populations frontières qui, en cas d’invasion, pourraient faire à l’ennemi un bienveillant accueil ; il n’est probablement aucune tribu qui, sur le champ de bataille, déserterait les aigles impériales.

Dans la guerre actuelle, les Tatars et les musulmans peuvent seuls inspirer des soupçons ; pour qu’ils fissent courir à la Russie quelque danger, il faudrait que les Turcs réussissent à porter la guerre au Caucase ou en Crimée, comme la Porte le tente en ce moment à Soukhoum-Kalé. Les musulmans de l’empire ont pour la plupart envoyé au tsar des adresses de dévoûment, offrant leurs bras pour réprimer les barbaries de leurs coreligionnaires Turcs et appelant dans leurs mosquées les bénédictions d’Allah sur les armes du tsar. Il ne faudrait pas faire grand fonds sur ces