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que lentement et voulait toujours avoir l’excès du droit de son côté. Il exigea que le duc de Clèves s’adressât au pape pour faire annuler le mariage religieux. Il fallut aussi que Jeanne renouvelât ses déclarations devant l’autorité ecclésiastique. Elle le fit le jour de Pâques, le 5 avril 1545, avec la plus grande solennité, devant le cardinal de Tournon, l’archevêque de Vienne, les évêques de Coutances, d’Angoulême, de Mâcon, l’ambassadeur de l’empereur, Jehan de Saint-Mauris ; la main sur l’Évangile, elle jura qu’elle persévérait dans les sentimens contenus dans ses protestations et déclarations antérieures.

L’empereur et le duc de Clèves entamèrent une négociation avec Rome ; on fit confidentiellement valoir auprès du saint-père l’intérêt qu’il y avait à donner contentement au duc de Clèves pour le retenir dans la religion catholique, qu’il faisait parfois mine de vouloir quitter. Le 12 octobre, Paul III signa le bref : « Nous dissolvons et séparons toi et Jeanne, nous vous délivrons des liens mutuels du mariage, et nous t’accordons à toi avec une autre femme, à elle avec un autre homme, la licence et faculté de contracter un autre mariage légitime. » Le duc de Clèves demanda immédiatement la main d’une nièce de Charles-Quint. On lui accorda Marie d’Autriche, fille de l’empereur Ferdinand, qu’il épousa le 26 juillet 1546 à Ratisbonne.

Jeanne d’Albret était libre : qui pouvait désormais aspirer à sa main ? Son père n’avait jamais renoncé à l’alliance avec Charles-Quint ; il caressait toujours le rêve d’une union qui lui rendrait la Navarre espagnole. Quand parut le bref de Paul III, Henri d’Albret fit de nouvelles ouvertures à Saint-Maurice, l’ambassadeur d’Espagne ; elles furent assez froidement reçues. La reine Marguerite entrait dans les projets de son mari, elle faisait assidûment sa cour à la reine, sœur de Charles-Quint. Elle essaya même d’emmener sa fille en Béarn, prétendant que les scandales de la cour de France lui seraient d’un fâcheux exemple. François Ier décida que Jeanne resterait à Plessis-les-Tours quand sa mère serait en Béarn. Henri d’Albret et Marguerite retournèrent dans leurs états, laissant la princesse de Navarre sous la garde du roi de France.

Les seuls princes français qui pouvaient épouser Jeanne d’Albret étaient le duc d’Orléans, le fils préféré du roi, le duc de Vendôme et le comte d’Aumale, qui devint duc de Guise. François Ier avait de grandes ambitions pour le duc d’Orléans, dont Brantôme dit « qu’il était prompt, bouillant et aimant à faire toujours quelque petit mal…, tout bouillant de guerre, bravant, piaffant, orgueilleux, trop esveillé. » Le duc d’Orléans avait fait une brillante campagne dans le Luxembourg en 1543, mais il s’y était conduit de la façon la plus étrange. A peine maître de Luxembourg, il était entré pour son