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de cheval à la grand’halte d’une étape. Il s’appuie du bras sur la selle d’un bel alezan. La tête de l’animal, vue en raccourci, paraît sortir de la toile. L’effet est poussé jusqu’au trompe-l’œil, à ce point qu’on craint pour la bordure supérieure du cadre, que rasent les oreilles du cheval, un de ces violens mouvemens de tête habituels aux pur-sang, qui le briserait. Au troisième plan, un trompette d’ordonnance en selle sur un cheval gris pommelé se prépare à sonner la marche, et au fond, dans le creux d’un vallon verdissant, on aperçoit une colonne de hussards, qui a mis pied à terre. M. Baudry expose aussi le portrait d’une petite fille en robe bleue avec écharpe blanche. La physionomie, très fraîche et très enfantine, n’a pas cet air boudeur que les peintres sont accoutumés à donner aux enfans qui posent. Il semble au reste que M. Baudry ait tout sacrifié à cette charmante tête ; la facture des jambes est molle et celle des mains trop sommaire. Et quel singulier fond le peintre a choisi : la plinthe de sapin peinte en chêne et le hideux poêle de faïence blanche à bouches de chaleur de cuivre qui déshonore nos salles à manger. Cette jolie enfant, à qui on a refusé l’entrée du salon, était-elle donc en pénitence ?

M. Chaplin n’a pas choisi un fond aussi prosaïque pour son charmant portrait de femme : c’est un fond de ciel bleu, martelé de blanc, très clair et très lumineux, qui, se blanchissant encore à l’entour de la tête, l’éclaire et la fait transparaître en pleine lumière. La jeune femme est vêtue d’une robe de satin noir, moirée de reflets, traitée avec beaucoup de largeur et de souplesse. Elle tient à la main gauche un chapeau de feutre gris orné d’une longue plume blanche, et la main droite, armée d’un fouet de chasse, repose sur la tête d’un haut lévrier d’Ecosse à poils touffus. C’est une blonde ; ses cheveux ont cette teinte cendrée, si finement nuancée, à laquelle on a le tort de préférer le ton flavescent, qui semble toujours artificiel, des chevelures à la mode. Des boucles rebelles, jouant librement sur le front au-dessus de sourcils fournis et foncés, tranchent dans une douce et fraîche harmonie avec les tons roses et transparens de la peau. Les peintres qui voient en gris, en rouge ou en noir refusent à M. Chaplin le droit de voir en rose. Le rose n’existe-t-il donc pas dans les œuvres de la nature comme dans celles de l’industrie ? Ils s’indignent que le peintre peigne rose une robe de satin rose ; faut-il donc qu’il la peigne verte ? Au reste, dans ce portrait, M. Chaplin n’a pas abusé du rose, dont seul il sait rendre l’éclat et le ton juste, — les autres peintres le traduisent par le lie de vin pâli. Sauf les carnations, très vives, très lumineuses et très vivantes, tout est tenu dans une gamme sobre et vigoureuse. Le portrait de M. le duc d’Audiffret-Pasquier est plus accusé encore