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les sous-bois ombreux et humides, les rivières et les lacs perdus sous les voûtes de verdure. Ils excellent à en exprimer la poésie mystérieuse, la pénétrante fraîcheur, la lumière attiédie, à en peindre les lignes vaporeuses et les transparences fluides. Il semble qu’ils emploient un pinceau imprégné de rosée. Ces peintres procèdent plus ou moins de Corot. Au contraire, MM. Lambinet, Harpignies, Alexandre Defaux, Tancrède Abraham, Renouf, Ségé, Louis Japy, Paul Colin, prennent leurs inspirations chez Troyon et chez Rousseau, chez Jules Dupré et chez Daubigny. Les plans sont vigoureusement modelés, les feuillées se massent en lignes précises, les terrains, les monticules, les arbres, les nuages sont arrêtés dans leurs formes. Cela a plus de solidité et moins d’effet, plus d’ampleur et moins de grâce, plus de beauté et moins de poésie.

Le Souvenir des Alpes, de M. Gustave Doré, est trop vrai pour ne pas paraître fantastique. Ces sites sauvages, ces cimes de monts blanchies par la neige et bleuies par l’aurore, ces hauts sapins dépouillés et tordus par les ouragans, semblent toujours inventés. Le public ne croit qu’à ce qu’il a vu, ou, pour mieux dire, à ce qu’il voit journellement. La même réflexion s’applique au Ruisseau sous bois de M. Coosemans. Des arbres, des roseaux et des herbes aquatiques émergent de la nappe d’eau où se reflètent les silhouettes des aulnes et des saules pleureurs. C’est à ne plus distinguer l’eau des arbres, à confondre les choses et leurs reflets. Le tout est noyé dans une tonalité glauque ; on dirait un de ces paysages sous-marins que se plaît à décrire le populaire auteur des voyages imaginaires.

Le soleil d’Orient éclate dans le Souvenir d’Asie-Mineure, de M. Pasini. Quelle vigueur et quelle richesse de ton ! Dans la cour d’un vieux conak, entourée d’un grand mur blanc, un homme coiffé d’un turban rouge jette des poignées de grains à une nuée de pigeons qui s’est abattue autour de lui. M. Washington a peint avec une grande intensité de lumière les Hauts plateaux de l’Algérie. La neige qui les couvre forme une opposition vibrante avec le bleu ardent du ciel. Quelques cavaliers en burnous rouges animent ce lumineux paysage. La grande toile de M. Guillaumet, qui représente un Marché arabe en Algérie, est peinte d’une touche large et libre dans les tonalités claires, mais sans éclat, de la lumière diffuse. La Vue du Nil, de M. Mouchot, est dans une gamme embrasée. M. Théodore Frère a envoyé du Caire une Vue de la Haute-Égypte. Une petite caravane entre dans une oasis dont les palmiers se découpent sur un ciel de soufre et de safran. Ce tableau n’est qu’une carte de visite d’un absent, mais elle est cornée au bon coin.

Il nous faut quitter les orientalistes pour les peintres de marine. Les Grèves de Cancale, de M. Eugène Feyen, gaîment animées par