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si elle possède un de ces jolis objets, dont la valeur n’est bien grande que lorsqu’ils sont ornés de broderie. Un mouchoir peut valoir alors de 50 à 100 francs. En 1867, une métisse de Manille envoya à l’exposition universelle de Paris une robe en fibres d’ananas dont la mise à prix fut fixée à 15,000 francs. C’est sa majesté Isabelle II qui en devint l’heureuse propriétaire, si nos souvenirs sont exacts.

J’ai visité des ateliers de brodeuses dans les faubourgs de la capitale ; les ouvrières étaient âgées tout au plus de douze ans. Sous la direction de maîtresses habiles, les doigts de ces fillettes créaient avec une patience angélique des festons superbes. Dans la crainte que le vent n’embrouille les fils, celles qui sont chargées des broderies les plus délicates sont contraintes de s’abriter sous des moustiquaires. Le croira-t-on ? ces fées ouvrières ne gagnent en général que 50 centimes par jour ; le salaire le plus élevé est de 1 fr. 25 c. Cette misérable rétribution et le prix exagéré des broderies sont cause que cette industrie s’éteint ; si elle vit encore, c’est parce que chaque étranger qui passe à Manille désire emporter comme souvenir un échantillon de cette charmante industrie.


II

Jusqu’en 1837, époque à laquelle la douane espagnole établit un droit uniforme de 7 pour 100 sur les importations, les tissus étrangers ne se vendaient presque pas aux Philippines. Grâce à cette réforme, les Indiens peuvent porter un pantalon et une chemise les jours de fête ; La France, l’Angleterre, l’Allemagne et la Suisse couvrirent la colonie des produits de leurs manufactures. Pendant longtemps, notre pays n’y eut pas de rival pour les étoffes mélangées de soie et de coton, connues autrefois à Manille sous le nom français de saya Lagravère ; les jaconas de Mulhouse et les mérinos de Reims éliminaient aussi ceux des autres marchés. Malheureusement l’élévation de la main-d’œuvre en France, les hauts tarifs de nos chemins de fer, et l’active concurrence de la Suisse et de l’Allemagne nous firent beaucoup de mal. On devait croire que l’industrie indigène allait disparaître sous les produits manufacturés qui, comme une avalanche, tombaient d’Europe sur les Philippines : c’est le contraire qui est arrivé. L’entrée des fils et des filasses d’Angleterre destinés aux métiers du pays n’a pas été au-dessous de 900,000 livres en 1874.

Il est donc évident que les tisserands indigènes font de grands efforts pour s’affranchir des cotonnades anglaises ; ils réussiraient, si le gouvernement local les y encourageait par des primes ou abaissait son tarif des douanes sur les matières premières, Aujourd’hui,