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des Philippines étaient desservis par des curés indigènes et des moines de l’ordre de Saint-Augustin. Les ordres monastiques qui, avant 1835, époque de leur suppression, encombraient l’Espagne, ayant eu connaissance du sort heureux qui était fait en Océanie à leurs collègues, ne tardèrent pas à s’y présenter, réclamant leur part de propagande religieuse et de profit. Pour éviter des compétitions trop vives, le gouvernement dut désigner lui-même les provinces qui convenaient le mieux aux nouveaux arrivans. La Pampanga, une des plus riches, quoique appartenant depuis de longues années au clergé indigène, fut livrée aux moines augustins ; celle de Cavite aux dominicains, les Visayas aux récollets, l’île de Mindanao aux jésuites, Zambalès et d’autres districts aux franciscains.

Grâce à la protection que les évêques accordaient aux prêtres indigènes, plusieurs d’entre eux purent néanmoins conserver leurs postes ; mais en 1870 de nouvelles spoliations eurent lieu, et l’archevêque de Manille crut devoir protester en ces termes auprès du gouvernement de Madrid : « L’injuste pratique de dépouiller le clergé séculier produit dans le pays un véritable scandale. Ne craint-on pas de l’exaspérer ? N’a-t-il pas assez souffert et doit-on craindre davantage pour lui dans l’avenir ? Qui osera soutenir que son ancienne fidélité ne se changera pas bientôt en haine ? Ces hommes ont pu croire pendant longtemps qu’il n’y avait entre les fils du pays et les moines qu’une rivalité de race et de profession, mais aujourd’hui c’est leur suppression entière qu’ils ont à redouter. Qui ne remarque le changement qui s’opère dans leurs idées et la colère qu’ils laissent éclater lorsqu’on leur parle de ceux qui les dépouillent ? Plusieurs prêtres indiens n’ont-ils pas donné à entendre que, si les Américains ou les Allemands s’emparaient des Philippines par suite d’une guerre avec l’Espagne, ils recevraient en libérateurs les ennemis du pays ? Le danger est d’autant plus grand que ces pasteurs sont plus que les blancs en relations directes avec leurs troupeaux, et que les accusations qui ont été lancées contre leur conduite n’ont jamais été prouvées. » Après avoir envoyé cette protestation en Espagne, l’archevêque fit venir dans son palais le curé de la cathédrale de Manille, don José Burgos, un créole, et l’engagea à formuler avec ses amis un acte de fidélité et d’attachement à l’Espagne. Burgos, après quelques hésitations, se rendit au désir du prélat et s’employa avec ardeur à recueillir des adhérens. Plus tard cet écrit passa pour un manifeste des plus audacieux, et ceux qui l’avaient signé, au nombre de 300, furent presque tous qualifiés de traîtres, de révolutionnaires et de flibustiers.

Le gouvernement de Madrid, comme d’habitude, ne tint aucun