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d’hui ? Pourquoi ne rectifierait-on pas spontanément une politique qui du premier coup, dans une impatience de réaction, a visiblement dépassé le but ? Pourquoi ne chercherait-on pas résolument un point d’appui dans les institutions existantes, parmi ceux qui veulent les maintenir et les fortifier, au lieu de chercher une force artificielle, précaire et dangereuse dans une coalition de partis ennemis qui n’ont d’autre pensée que de ruiner, de détruire le régime actuel pour s’en disputer l’héritage ? En d’autres termes pourquoi ne se mettrait-on pas une bonne fois sérieusement à l’œuvre pour fonder cette politique conservatrice de la république qu’on n’a pas réussi jusqu’à présent à dégager, peut-être parce qu’on s’est trop dit de parti-pris qu’elle n’était qu’une chimère ? C’est là justement la question qui dès demain va reparaître dans les chambres, qui doit surtout être abordée dans le sénat le jour la dissolution sera discutée, si décidément elle ne peut pas être évitée.

La situation est certes des plus délicates, des plus graves. Tout peut dépendre de la première séance où les partis et le gouvernement vont se rencontrer face à face, se mesurer du regard et peut-être se heurter aussitôt. Si quelque chose est de nature a précipiter les événemens, c’est que la majorité de la chambre des députés, rendant guerre pour guerre, se laisse immédiatement emporter à des manifestations tumultueuses, violentes, irréparablement hostiles. Que, dès la première heure, sans mesurer ses coups, elle pousse la lutte à fond, qu’elle multiplie les ordres du jour offensans, qu’elle refuse le budget, la question sera bientôt tranchée, la proposition de dissolution ne se fera pas attendre. Qu’aura gagné la chambre à prendre cette attitude, à céder au ressentiment ? Elle aura donné des armes contre elle, elle aura offert un prétexte de plus de répéter que c’est elle qui met obstacle à tout, qui va jusqu’à interrompre les services publics. Ce ne sera pas vrai, elle n’aura fait que relever un défi, elle ne sera pas moins représentée devant le pays comme aggravant la crise et envenimant le conflit. La meilleure politique pour elle, c’est de se contenir, de réprimer des irritations même légitimes, de se borner à l’essentiel pour maintenir sa dignité et de voter, si on le lui demande, les parties les plus urgentes du budget. Elle peut tout cela, elle peut expédier les affaires sans se départir d’une certaine sévérité de contenance vis-à-vis du cabinet. Elle ne livre rien, ni son droit ni ses prérogatives, elle reste à l’état d’observation. On ne s’y trompera pas, on ne prendra pas sa prudence pour une abdication ; on y verra tout simplement un sérieux esprit politique et le sentiment de responsabilité qui s’impose aux majorités parlementaires comme aux gouvernemens. Après tout, que peut-il en résulter ? De deux choses l’une : ou bien la dissolution serait ajournée faute de prétextes suffisans donnés par la majorité républicaine, et ce ne serait point, en vérité, un grand mal, la situation serait encore plus embar-